Un rachat que l'on n'avait pas vu venir, et qui prend pourtant du sens tant le succès futur d'Activision Blizzard était loin d'être acquis.
Le 18 janvier 2022, tombait une annonce aussi colossale qu'inattendue : Microsoft rachète Activision Blizzard. Pour 68,7 milliards de dollars – un montant record –, l'un des plus grands groupes de l'industrie du jeu vidéo, éditeur et développeur de World of Warcraft, Call of Duty, Diablo et bien d'autres licences cultes, tombe sous l'escarcelle de Xbox, qui avait déjà frappé très fort avec l'acquisition de Bethesda (ZeniMax Media ) il y a seulement quelques mois.
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L'initiative vient d'Activision Blizzard, pas de Microsoft
Aujourd'hui, VentureBeat nous donne quelques détails supplémentaires sur le déroulé des négociations entre Microsoft et Activision Blizzard. D'après la publication, ce n'est pas la firme de Redmond qui a approché celle de Santa Monica pour un rachat, mais c'est plutôt cette dernière qui a pris contact avec le mastodonte de l'informatique pour lui faire savoir qu'elle était ouverte à une acquisition.
La décision de trouver un repreneur aurait été prise en concertation avec les dirigeants et les principaux investisseurs au capital du groupe. Ensuite, tout est allé très vite. Activision Blizzard a pris contact avec Microsoft au début du mois de novembre 2021 pour lui faire part de sa volonté de se faire acquérir.
Une proposition sur laquelle a immédiatement planché Xbox. Les discussions ont été menées rapidement et dès la fin de l'année, les détails de la transaction étaient couchés sur le papier. L'officialisation a été rendue publique à la mi-janvier 2022, pour un processus de vente qui devrait se finaliser à la fin de l'année fiscale 2023 de Microsoft, c'est-à-dire au mois de juin de l'année prochaine. Si les autorités antitrust ne viennent pas s'en mêler.
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Des problématiques de développement
Mais pourquoi donc Activision Blizzard a-t-il frappé à la porte de Microsoft ? Après tout, le groupe est dans une forme financière éblouissante, annonçant encore un chiffre d’affaires de 1,9 milliard d’euros, un bénéfice opérationnel de 808,3 millions d’euros et un bénéfice net de 738,3 millions d’euros pour le second trimestre 2021 par exemple. Call of Duty est l'une des franchises les plus rémunératrices et populaires de l'histoire du jeu vidéo, et continue d'attirer les joueurs aussi bien avec sa version mobile free-to-play qu'avec ses jeux PC et consoles qui trustent régulièrement le haut des classements des ventes de jeux dans le monde.
Mais en interne, il semble qu'Activision Blizzard sente le vent tourner et ne se croit pas capable d'aborder sereinement le futur en l'état actuel de la situation. Les coûts de développement des grosses productions vidéoludiques ont explosé au cours des dernières années, et le groupe aurait du mal à trouver les ressources nécessaires pour financer autant de projets d'envergure qu'il ne possède de licences importantes. Nous avons d'ailleurs vu Blizzard abandonner StarCraft et Heroes of the Storm, alors que la stratégie d'Activision est de se concentrer exclusivement sur Call of Duty et délaisser tout le reste.
Par ailleurs, Activision Blizzard a perdu de nombreux talents, souffrant de vagues successives de départs qui ont laissé un vide. Les talents sont une denrée rare sur un marché très compétitif, et certains développeurs d'expérience préfèrent tenter leur chance dans de plus petites structures ou lancer leur propre projet après des années à travailler pour une boîte gigantesque qui doit composer sans arrêt avec la pression des résultats trimestriels imposée par les actionnaires.
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Un potentiel certain, un futur incertain
Sauf que pour les investisseurs, faire des bénéfices, c'est bien, faire des bénéfices record, c'est encore mieux. La santé d'une entreprise cotée en bourse est aussi jugée sur les perspectives de croissance, et Activision Blizzard semble être à court d'idées pour générer de l'argent, trop dépendant de Call of Duty et des jeux mobiles de King.
Au sein de l'entité, c'est traditionnellement Blizzard qui est appelé à la rescousse pour l'aspect créatif, pour sortir des jeux de qualité et regagner la confiance des joueurs. Mais l'image du studio s'est fortement dégradée auprès de tous les acteurs de l'industrie et malgré l'attractivité de la marque, Blizzard aussi a du mal à gérer la fuite des talents. Nous savons d'ailleurs que le développement de Diablo IV et Overwatch 2 en subit les conséquences, les deux titres ayant vu leur sortie largement repoussée, tout comme celle du titre mobile Diablo Immortal. Sans parler de l'échec cuisant de Warcraft III Reforged.
Malgré des IP qui ont fait l'histoire du jeu vidéo (Warcraft, Diablo, Starcraft) et un Overwatch qui a ambitionné de révolutionner la scène e-sport en s'inspirant du système de franchises du sport traditionnel US, seul Hearthstone semble émerger aujourd'hui. World of Warcraft génère encore beaucoup d'argent grâce à son système d'abonnement, mais on assiste à une saignée des abonnés depuis plusieurs mois, Final Fantasy XIV menaçant même son statut de dieu du MMORPG.
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Activision Blizzard traîne des casseroles
Le groupe traîne des boulets qui ont fini par rompre sa relation avec les joueurs, et même avec ses propres salariés. La gestion de l'affaire Blitzchung (un joueur pro Hearthstone qui clamait son soutien à Hong Kong contre la Chine) avait mis à mal l'image de Blizzard. Mais ce sont surtout les accusations répétées de culture d’entreprise toxique sous fond de cas de harcèlement et de discrimination qui ont fini de mettre à mal l'amour que pouvaient porter joueurs et salariés à l'entreprise.
Surtout qu'Activision Blizzard n'a rien trouvé de mieux pour contrôler les plaintes que de tout faire pour empêcher la création d'un syndicat, attisant encore la colère et provoquant des grèves du personnel. Phil Spencer avait d'ailleurs fait savoir aux employés de Xbox, dans un mail consulté par Bloomberg, qu'il était en train « d'évaluer tous les aspects de notre relation avec Activision Blizzard et de procéder à des ajustements proactifs continus » dans cette affaire. C'était en novembre 2021, et Activision Blizzard paraissait s'exposer à voir ses partenariats remis en question s'il n'agissait pas vite.
Sur la sellette, le CEO Bobby Kotick (à la tête d'Activision depuis 1991) se cherchait aussi sans doute une porte de sortie décente pour quitter la société, lui qui est pointé du doigt pour avoir permis d'instaurer et pour avoir fait perdurer un climat délétère au sein des équipes. Pour cela, quoi de mieux que de conclure la plus grosse transaction de l'histoire du jeu vidéo et l'une des plus grandes de l'histoire de la culture… Mais aussi de consolider la position qui commençait tout doucement à être menacée d'Activision Blizzard sur le marché grâce aux reins on ne peut plus solides de Microsoft, qui a les ressources (et sûrement les idées, étant donné qu'il a accepté un rachat à 68,7 milliards de dollars) pour relancer la machine et lui garantir un brillant futur. En tant que joueur, c'est en tout cas tout ce que l'on peut espérer, surtout si l'on a été bercé des décennies durant par les jeux des studios du groupe.
Source : VentureBeat