Entre commodité et overdose, que faut-il penser du Game Pass de Microsoft ?

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Entre commodité et overdose, que faut-il penser du Game Pass de Microsoft ?

Pierre Crochart

29 octobre 2021 à 13h58

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© Microsoft
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Dans les parages depuis déjà quatre ans, et riche de plus de 23 millions d’abonnés, le Game Pass occupe désormais une place prépondérante dans le paysage vidéoludique. Extension naturelle pour quiconque possède une Xbox, il a également investi le champ du PC et, dans une moindre mesure, du mobile pour abaisser considérablement les barrières du médium.

Seulement le Game Pass me provoque comme un sentiment contrasté. Impossible de nier ses vertus. Peu cher, il permet à des personnes s'étant tenues jusqu’ici éloignées du jeu vidéo de le (re)découvrir et de profiter des dernières nouveautés. Mais il esquisse aussi un futur dérangeant, dans lequel, à la manière de Netflix ou de toute autre plateforme de vidéo à la demande, nous serions littéralement noyés sous la masse de jeux disponibles. Et où, in fine, nous ferions du jeu vidéo un médium jetable.

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« Le Netflix du jeu vidéo »

À l’heure où sont écrites ces lignes, le Game Pass compte exactement 382 jeux disponibles sur console et 275 accessibles sur PC. Et tout cela sans compter les titres également jouables via le cloud (mobile, tablettes, navigateur) moyennant un abonnement Game Pass Ultimate (12,99€ par mois). Bref : une belle affaire. D’autant que Microsoft y ajoute mensuellement une dizaine de nouveaux titres.

Le Game Pass a déjà considérablement épaissi son catalogue depuis son lancement en 2017. Amusant, d’ailleurs, de constater que le site officiel du service promet toujours l’accès à « plus de 100 jeux exceptionnels », comme s’il n’avait pas lui-même anticipé l’ampleur qu’il prendrait aujourd’hui.

Un échantillon des jeux disponibles et à venir sur le Game Pass © Microsoft
Un échantillon des jeux disponibles et à venir sur le Game Pass © Microsoft

Alors où se situe la limite exactement ? Interrogé par nos soins en avril dernier, Jason Beaumont, program manager du Xbox Game Pass, estimait justement qu’il ne devrait pas y en avoir. Ou, du moins, qu’il fallait pour l’entreprise rester raisonnable en misant gros sur la curation. « L’idée ce n’est pas de dire “180 jeux c’est bien, mais 200 jeux c’est trop.” On veut que les joueurs puissent être en capacité de découvrir des jeux. On veut donc que le Game Pass soit un catalogue doté d’une vraie curation. Il est de notre responsabilité de créer une rencontre entre les développeurs et les joueurs. Ce n’est pas un buffet à volonté, conclut-il, c’est une sélection bien réfléchie. »

Pourtant, et même avec « 382 jeux seulement », j’avoue être déjà frappé du « syndrome Netflix » lorsque je me promène dans les étals du Game Pass. Tant de jeux me font envie. Des nouveautés, des titres à côté desquels je suis passé à leur sortie, des jeux réputés de genres que je n’ai pas l’habitude d’explorer. Alors j’ajoute sans grande conviction ces jeux à ma liste de téléchargement. Conscient que, comme pour la majorité des titres de ma ludothèque Steam, Epic, Gog et j’en passe, je n’aurais sans doute jamais le temps de les finir — voire de les lancer.

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Le mal du siècle

Vous me répondrez peut-être que c’est un problème de riche. Le pauvre, il a trop de jeux à sa disposition. Vous n’auriez pas tort ; la situation est enviable à plus d’un titre. Mais elle s’inscrit dans une époque où le « FOMO », acronyme de fear of missing out (la "peur de passer à côté de quelque chose", en bon français) est considérée comme beaucoup comme le mal du siècle.

Vous savez, cette irrésistible envie d’ouvrir Twitter alors que vous êtes en vacances et que vous vous étiez promis de déconnecter ? Ou encore l'irrépressible besoin d’acheter ce jeu en promo parce qu’il est bien noté, et qu’à ce prix ce serait dommage de ne pas en profiter. Les exemples ne manquent pas. Et le Game Pass, d’une certaine manière, entretient cette machine en faisant peser une double épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. D’une part la majorité des jeux disponibles dans le catalogue ne le sont que temporairement. Il faut donc trouver le temps de les finir avant qu’ils disparaissent. De l’autre, on sait d’avance que de nombreux nouveaux titres rejoindront prochainement la plateforme. Alors dépêchons-nous de terminer ceux en cours pour pouvoir en profiter ! Vous voyez le tableau.

Finirons-nous, comme l’utilisateur moyen de Netflix, à passer environ 17,8 minutes par jour à scroller passivement jusqu’à trouver un jeu qui nous plait vraiment ? Je dois confesser que cela m’arrive déjà. Je me suis déjà surpris à allumer mon ordinateur ou ma console pour simplement faire défiler les jeux du Game Pass avant d’éteindre la machine, de guerre lasse.

Avec le Game Pass Ultimate, on emporte ses jeux partout avec soi © Microsoft
Avec le Game Pass Ultimate, on emporte ses jeux partout avec soi © Microsoft

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Un deal en or pour les développeurs

On peut trouver, à notre échelle de joueur, que le Game Pass est déjà trop gros. Mais pour les développeurs et les studios indépendants, il est probablement de taille idéale. Pensez-y : qu’est-ce qui est le plus avantageux lorsqu’on s’appelle Studio Koba (Narita Boy) ou Eggnut (Backbone) et que l’on s’apprête à sortir son premier jeu ? Le faire dans un relatif anonymat sur Steam, perdu au milieu d’une véritable jungle d’autres titres, ou être mis en avant sur une plateforme qui ne compte pas plus de 400 jeux et qui vous mettra sous les projecteurs devant plus de 23 millions de joueurs et joueuses ?

Et tout cela sans parler du généreux chèque signé par Microsoft pour s’assurer de faire figurer un jeu dès sa sortie sur son service par abonnement. D’après certains développeurs, le Game Pass ne représente rien de moins que le meilleur deal imaginable pour publier son jeu. Difficile de ne pas s’en réjouir.

Le Game Pass, la vitrine rêvée pour des jeux comme Backbone. Capture d'écran.
Le Game Pass, la vitrine rêvée pour des jeux comme Backbone. Capture d'écran.

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Vers un jeu vidéo formaté ?

Mais je suis un grand pessimiste. Et si, de par sa nature, le Game Pass finissait par conditionner la façon dont sont conçus les jeux de demain ? Et si être intégré au Game Pass devenait une boussole pour les développeurs ? 

Pour l’instant, on en est très, très loin. La ligne éditoriale du service de Microsoft est pour le moins bigarrée. On y trouve aussi bien des jeux services AAA à la Outriders, des J-RPG loufoques comme les Yakuza, que des jeux indépendants intimistes de la trempe de Night in the Woods ou plus récemment The Wild at Heart

Mais l’industrie est en perpétuelle évolution. Microsoft y reste peut-être encore imperméable, mais ses concurrents, eux, n’hésitent pas à expérimenter sur des modèles de rémunération différents pour les développeurs.

Prenons Stadia, le service de cloud gaming de Google. Bien que dans une (très) mauvaise passe suite à la fermeture de ses studios internes, la firme vient d’annoncer un programme visant à rémunérer les développeurs en fonction du temps passé par les joueurs sur leurs titres. En clair, Google encourage les studios à développer des jeux conçus pour maximiser la rétention des utilisateurs en leur agitant la promesse d’une rémunération plus avantageuse sous le nez. Le casino vidéoludique, vous en rêviez ?

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Le Game Pass, le nouveau laboratoire de Microsoft

Les plateformes de jeu par abonnement ne sont pas que des buffets à volonté dans lesquels on va piocher à l’envi des nouveaux jeux à découvrir. Ils servent, pour leurs éditeurs, de véritables laboratoires qui permettent, dans certains cas, de flécher leurs investissements futurs.

Il y a quelques jours, Phil Spencer, PDG de Xbox, s’exprimait justement sur ce point dans le Gamecast de Kinda Funny. On y apprenait — sans surprise — que les données de fréquentation des jeux sur le Game Pass sont scrutées de près par l’entreprise. Au point d’encourager l’exhumation de licences que l’on pensait disparues !

C’est précisément ce qui est arrivé pour Fable, le prochain jeu de la licence, cette fois développé par Playground Games. C’est en constatant la popularité intacte des premiers opus sur le Game Pass que Microsoft aurait donné son feu vert à un reboot, dont la sortie n’est malheureusement pas près d’arriver.

Des sentiments contrastés donc, à l’égard d’un service dont l’attractivité va croissante, mais dont les perturbations qu’il instille à l’industrie exigent de rester prudents. En attendant, j’ai encore une bonne trentaine de jeux à finir avant l’arrivée de la prochaine fournée du Game Pass. Quelle époque !

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