Skull and Bones : 8 ans et 120 millions de dollars plus tard, récit d'un développement chaotique

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Skull and Bones : 8 ans et 120 millions de dollars plus tard, récit d'un développement chaotique

Pierre Crochart

20 juillet 2021 à 18h06

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© Ubisoft
© Ubisoft

Montré pour la première fois à l’E3 2017, Skull and Bones a depuis perdu son cap. Désormais prévu pour quelque part en 2023, le jeu de piraterie d’Ubisoft est en grande difficulté.

Kotaku a mené l’enquête sur le jeu pensé à l’origine comme une extension multijoueur d’Assassin’s Creed IV: Black Flag (2013), et en a tiré un long article riche du témoignage d’une vingtaine de développeurs d’Ubisoft Singapour. En résulte un tableau bien sombre, qui tend à confirmer que le projet se trouve bel et bien en « dev hell ».

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Un jeu bâtard qui ne sait pas où il va

Annoncé beaucoup trop tôt, Skull and Bones a évidemment été incapable de tenir sa date de sortie initiale, prévue pour fin 2018. Aux dernières nouvelles, Ubisoft estime que son antenne de Singapour devrait être en mesure de livrer sa copie d’ici la fin de l’année fiscale 2022. Soit en mars 2023 dernier délai.

Mais encore faudrait-il que l’entreprise ait trouvé un cap, et qu’elle s’y tienne. Les sources de Kotaku décrivent en effet un projet mené d’une main tremblante, rebooté à plusieurs reprises, et grevé par des guerres d’ego chez les producteurs qui empêchent les équipes de développement de faire leur travail. « Même après des années, certaines questions très basiques relatives aux mécaniques de jeu n’ont pas été résolues », écrit Kotaku.

Des choses aussi fondamentales que « jouons-nous le pirate ou jouons-nous le bateau ? » n’auraient trouvé leur réponse que récemment. Les équipes ont au passage été obligées de repenser totalement le game design du jeu… ce qui leur aurait coûté entre 6 et 12 mois.

Même en interne, peu semblent confiants quant aux chances de succès du produit fini. « Si Skull and Bones était développé par un concurrent, il aurait été annulé une dizaine de fois au moins », soupire un développeur. « Personne ne veut admettre qu’il a merdé. »

Signe de la malédiction qui semble peser sur le jeu, l’une des personnes interrogées par Kotaku compare sa trajectoire à celle… d’Anthem, le jeu-service de Bioware connu comme étant l’un des plus gros naufrages industriels de ces dernières années.

En creux, l’article du site américain témoigne de la grande lassitude des personnes mobilisées sur le projet. Peu importe l’état du jeu à sa sortie, semble dire un salarié d’Ubisoft Singapour, pourvu que cela leur permette − enfin − de passer à autre chose. « D’avoir une équipe qui travaille pendant 4 à 5 ans sur quelque chose qui n’avance pas, ça détruirait n’importe qui », glisse un autre.

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« Sur le papier, Skull and Bones est un jeu facile à développer »

Skull and Bones devait, à l’origine, étirer le concept des batailles navales d’Assassin’s Creed IV pour en faire un jeu-service à part entière. Ubisoft Singapour, justement responsable de cette partie du jeu d’origine, n’avait donc a priori pas grand-chose à faire.

« Sur le papier, Skull and Bones est un jeu facile à développer, mais ça ne l’est vraiment pas », corrige un ex-développeur. La réalité est qu’Ubisoft s’est vite rendu compte que la technologie mobilisée sur Black Flag était déjà datée pour un jeu de lancement de l’ère PS4/Xbox One. « La technologie évoluait, et rapidement vous voulez de plus beaux graphismes. Et donc vous réalisez que certaines textures ne conviennent plus. Et au plus vous commencez à vouloir changer des choses, au plus d’autres parties du jeu deviennent obsolètes. Aussi quand un projet traîne en longueur sur plus de deux ans, votre idée première n’est plus valide. »

Il faut donc comprendre que les images que nous avons pu voir du jeu à l’E3 2017 n’ont déjà plus grand-chose à voir avec ce qu’avait imaginé le studio à l’origine. À cette période, l’idée était de faire de Skull and Bones un « Rainbow Six Siege avec des bateaux », synthétise Kotaku. Mais il manquerait alors un monde captivant à explorer, des quêtes à effectuer, des monnaies à amasser pour justifier le statut de jeu-service multijoueur. Dont acte : la version du jeu montrée à l’E3 2018 (à laquelle certains journalistes ont pu s’essayer) misait à fond sur les affrontements JcJ.

Mais en 2019, ajoute Kotaku, la mode était davantage aux jeux de survie comme Rust et Ark. Et le studio a décidé d’ajouter une nouvelle couche de gameplay mêlant récupération de ressources, confection d’objets et échanges entre joueurs. Un vrai petit MMO, situé dans l’univers de la piraterie.

Alors à quoi ressemble exactement Skull and Bones aujourd’hui ? « Le jeu est encore en train d’évoluer. Tout le monde a une idée précise de ce à quoi est censé ressembler un jeu Ubisoft, et son design n’en est pas encore tout à fait là », admet un développeur actuel. Mais beaucoup ignorent encore exactement quelle forme prendra le produit fini.

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Ubisoft s’entête et s’enlise

Après huit ans de développement, quelque 120 millions de dollars (montant communiqué par les sources de Kotaku) dépensés et environ 400 personnes mobilisées, le projet semble donc toujours extrêmement instable. Alors pourquoi Ubisoft s’entête autant, alors que de l’aveu de plusieurs personnes, d’autres éditeurs auraient déjà abandonné ?

Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. D’abord, Ubisoft sait l’intérêt d’avoir dans son portfolio des jeux-services de grande ampleur. S’il n’en manque pas dans son catalogue actuel (The Division 2, Rainbow Six Siege), ses concurrents Take-Two (GTA: Online), Electronic Arts (FIFA 21) ou Activision (Call of Duty: Warzone) sont aussi très bien armés.

Mais ce n’est pas tout. D’après trois personnes interrogées par Kotaku, Ubisoft est contractuellement tenu de développer et de livrer un jeu conçu par son équipe de Singapour. « En plus d’embaucher un certain nombre de personnes dans son studio de Singapour en échange de généreuses subventions, Ubisoft Singapour doit également lancer de toutes nouvelles IP dans les prochaines années ». Un engagement qui motive sans doute l’éditeur à ne pas renoncer à Skull and Bones, quand bien même son chantier est des plus chaotiques.

Contacté par Kotaku, Ubisoft a fait savoir que son jeu avait atteint le stade d’Alpha, et que l’équipe communiquerait en temps voulu sur les avancées du projet. « Ceci étant dit, ajoute le porte-parole, toute spéculation à propos du jeu ou des décisions qui sont prises dans le studio ne servent qu’à démoraliser l’équipe, qui travaille dur pour développer une nouvelle franchise ambitieuse qui réponde aux attentes des joueurs. »

Source : Kotaku

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