Test Eastward : le GOTY venu de Chine

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Test Eastward : le GOTY venu de Chine

Maxence Jacquier

19 septembre 2021 à 17h10

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Dans la couveuse de Chucklefish (Stardew Valley, Wargroove) depuis 2018, Eastward a d’abord tapé dans l'œil des amateurs de pixel art, avant d’hiberner incognito pendant près de trois ans. Un temps passé par la petite équipe du studio chinois Pixelpil à concevoir les décors détaillés et somptueux qui ont fait la réputation du jeu, mais également à harmoniser les nombreux contours de cette aventure hors-norme qui ne nous a pas laissé indifférent. Cap vers l’est.

8

Eastward
  • Univers fascinant
  • Décors somptueux
  • Aventure longue, riche et généreuse
  • Personnages drôles et attachants
  • Il manque une esquive ou un moyen de se défendre
  • Quelques problèmes de stabilité/performances sur Switch
  • Pas mal d’allers-retours inutiles

Eastward est disponible depuis le 16 septembre 2021, sur PC et Nintendo Switch au prix de 24,99 €. Foncez.

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La paire, y’en pas deux

John est un vieux mineur taciturne, un besogneux qui vit chichement dans sa vieille roulotte déglinguée, vissée dans les tréfonds d’une cité souterraine crasseuse. Sam, que le vieil homme recueille dans la cinématique d’introduction, est tout l’inverse : elle est bavarde, curieuse, pleine de vie et profondément naïve. Rapidement livrés à eux-mêmes et poussés par la soif de liberté de la jeune fille aux cheveux blancs, les deux héros se lancent dans une quête d’identité bigger than life digne des meilleurs jeux de rôle des années 90 (Secret of Mana, Zelda, Mother…), qu’Eastward convoque allègrement dès qu’il en a l’occasion.

Dans les donjons, elle peut immobiliser les ennemis et activer certains interrupteurs à distance avec son rayon d’énergie, lui manie la poêle à frire comme personne pour terrasser les ennemis au corps à corps. Il dispose également de bombes pour explorer les environs et sera rapidement doté d’un arsenal plus conséquent au fil de l’aventure. Le duo, qui se suit en permanence, partage sa barre de vie : passer de l’un à l’autre à la volée d’un simple coup de gâchette nécessite un temps d’adaptation pour être efficace, mais on finit par se faire à cette petite gymnastique d’autant que le début de l’aventure est plutôt compréhensif niveau difficulté. On finit par regretter l’absence d’esquive ou de moyen de se défendre, surtout quand les problèmes de précision ou de collision viennent perturber nos joutes. Le système invite un peu au bourrinage intempestif, en tout cas au début de l’aventure : j’ai plus de points de vie, donc je vais gagner.

Elle immobilise, il termine le job à la poêle : le duo devient rapidement redoutable
Elle immobilise, il termine le job à la poêle : le duo devient rapidement redoutable

En ville, l’heure n’est pas à la castagne. On discute avec l’engeance locale pour avancer dans l’aventure, on cuisine des bons petits plats à l’aide des ingrédients ramassés sur la route façon Breath of the Wild, on fait une petite partie d’Earth Born - un JRPG 8 bits croquignolet façon Final Fantasy 1 qui s’accompagne de créatures à collectionner en gatcha - et on se prépare pour la prochaine sortie moins pacifique. Linéaire et dirigiste, Eastward laisse peu de place à la flânerie. La construction des donjons est particulièrement simple, les rares passages secrets étant facilement déflorés par le radar à trésor dont John profite dès le début de l’aventure. 

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Du rire aux larmes

Après les premières heures d’exposition, on a d’ailleurs l’impression d’avoir tout vu ou presque. On se dit logiquement que Pixelpil va poliment décliner sa formule action/exploration/blabla, capitaliser sur ce duo antagoniste et laisser parler le génie de ses artistes pour nous offrir une sympathique aventure feel good comme on les aime. C’est en un sens vrai, puisque Eastward renouvelle constamment son offre : nouveaux accessoires, pouvoirs et pétoires pour la partie action et aventure, nouvelles rencontres truculentes, nouveaux environnements somptueux, rebondissements scénaristiques et moments forts, antagonistes mystérieux et puissants…

Séparés, les deux héros doivent chacun utiliser leurs ressources pour progresser
Séparés, les deux héros doivent chacun utiliser leurs ressources pour progresser

Le truc, c’est que le jeu se plaît à systématiquement faire un pas de côté. John ne dit par exemple pas un mot de l’aventure, et plutôt que de jouer la carte de l’amour vache façon Joel et Ellie dans The Last of Us, Eastward explore une nouvelle voie en laissant son héroïne phagocyter l’ensemble des situations narratives. Quand un malentendu ou un piège évident auraient pu être évités d’une simple intervention de son protecteur, Sam fonce au contraire bille en tête, entraînant le vieil homme dans une nouvelle aventure rocambolesque. Sam l’exubérante et John le taiseux ont ceci en commun qu’ils déploient la même énergie quel que soit l’enjeu du moment, ne reculant devant rien pour aider un enfant martyrisé par ses camarades ou pour remporter un concours culinaire. Pour sauver un compagnon de la mort ou pour aider un cirque à retrouver le succès, à l’aide d’une combinaison SM. 

Eastward enchaîne sans sourciller les enjeux dramatiques forts et les saynètes rigolotes, mixant parfois les deux avec talent pour brouiller les pistes. A mi-chemin entre Dropsy et Professeur Layton, il prend sans cesse le joueur à revers pour aiguiser son intérêt. Une tendance appuyée par la qualité de l’écriture, qui truffe ses dialogues faussement naïfs de références, jeux de mots et aphorismes absurdes. On salue d’ailleurs l’excellent travail d’adaptation des traductrices et traducteurs français, qui nous offrent une localisation impeccable de bout en bout. Chaque rencontre, même d’un PNJ sans importance, est l’occasion pour Pixelpil de glisser un clin d'œil malin, de briser discrètement le quatrième mur ou de tacler les poncifs du genre. Mention spéciale aux réfrigérateurs, qui ponctuent nos sauvegardes manuelles de réflexions profondes ou absurdes sur l'existence.

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Généreux à en crever

Dans le même esprit, de nombreuses séquences annexes, souvent décalées, viennent apporter un peu de souffle à une formule qui a fait ses preuves. La descente de rapides en jeep, la partie de baseball ou le tournage loufoque ne sont pas forcément des moments ludiques d’exception - tout comme les différents boss, qui hormis le dernier ne resteront pas dans les mémoires - mais ils témoignent des efforts fournis par Pixpil pour ne pas enfermer le joueur dans une routine ludique qui remplit par ailleurs très bien son office. Tantôt lent et intimiste, tantôt bouillonnant et goguenard, Eastward garde le cap et impose ses changements de rythme sans douleur. Cette cadence inhabituelle commence un peu à user vers le milieu de l’aventure, mais c’est pour mieux reprendre de plus belle ensuite avec un dernier tiers d’anthologie.

JVFR
Eastward est som-ptu-eux

Le jeu paie sa propension à nous faire multiplier les allers-retours inutiles, le nez collé à la carte pour optimiser les déplacements FedEx. On comprend néanmoins l’envie du studio chinois de nous faire arpenter en large et en travers les somptueux décors, qui fourmillent de détails magnifiquement accentués par de subtiles animations. Eastward est beau alors même qu’il n’hésite pas à malmener ses créations graphiques en plongeant ses environnements dans le brouillard ou la pénombre, voire en le soumettant à différents moments de la journée. C’est là encore une élégante manière de souligner l’excellent travail consenti sur les lumières, avec une différence nette entre les sources naturelles et artificielles qui offre un cachet fou à des tableaux déjà composés avec maestria.

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L’aventure avec un grand A

L’univers rétro-futuriste d’Eastward se voit transcendé par cette réalisation mirifique. Les différents lieux visités mélangent allègrement bazar technologique et matière organique : la roche, la terre, le bois mais aussi le carrelage, le métal, les câbles sont tous parfaitement reconnaissables, bien que souvent enchevêtrés dans un capharnaüm typique d’un monde entre deux apocalypses. Les décors sont denses et chargés, mais restent parfaitement lisibles. On repère en un instant les éléments interactifs sans que ceux-ci ne dénotent trop du paysage, pour une progression toujours impeccable dans les donjons ou les villes. Le studio chinois a digéré de nombreuses influences, notamment dans l’animation japonaise, pour mettre en décors cette fable universaliste qui semble débarrassée de toute frontière.

JVFR
Pas toujours très réussis, les boss ont par ailleurs tendance à mettre la Switch à genoux...

Entre le gameplay plutôt carré, les rencontres et dialogues inoubliables et la réalisation impressionnante, difficile de voir en Eastward un simple jeu indépendant vendu uniquement en dématérialisé pour moins de 30 €. Porté par son scénario plus malin qu’il n’y paraît et des tonnes d’idées à tous les niveaux, il offre entre 20 et 30 heures de bonheur pour qui veut mettre un peu de bonne humeur dans sa rentrée. Les quelques problèmes de finition - jeu qui rame sévère lors de quelques boss, plantages sans sommation - sont largement contrebalancés par des sauvegardes automatiques très régulières qui s’additionnent à la possibilité de sauver manuellement.

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Eastward, l’avis de JVFR

Nouveau parangon du jeu d’aventure feel good, Eastward transcende ses nombreuses erreurs de jeunesse - allers-retours inutiles, exploration limitée, problèmes de finition - avec une générosité ébouriffante qui transpire de chaque pixel. Si on vient à Eastward pour sa plastique généreuse, on y reste pour son humour, son univers fascinant, ses personnages invraisemblables et ses situations rocambolesques, profitant au passage de l'inventivité et de la malice de ses créateurs qui ne reculent décidément devant rien pour nous cueillir. Eastward est une merveille, une excellente surprise qui s'impose sans problème parmi nos meilleures rencontres ludiques de cette année.

Eastward

8

Au delà de sa réalisation impressionnante, Eastward impose une touche originale et décalée à un genre battu et rebattu. Long, drôle et passionnant, il souffre de quelques problèmes de jeunesse - finition, rythme - qui ne l'empêchent aucunement de figurer parmi les meilleurs jeux de cette année 2021.

Les plus

  • Univers fascinant
  • Décors somptueux
  • Aventure longue, riche et généreuse
  • Personnages drôles et attachants
  • Traduction française impeccable

Les moins

  • Il manque une esquive ou un moyen de se défendre
  • Quelques problèmes de stabilité/performances sur Switch
  • Pas mal d’allers-retours inutiles
JVFR

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