People Can Fly peut enfin voler de ses propres ailes avec une nouvelle licence, après les bouillonnant Painkiller et Bulletstorm. Le studio polonais capitalise sur ses années Epic Games, à parfaire sa maîtrise de l’Unreal Engine sur Gears of War et Fortnite, pour se frotter au loot shooter coopératif avec Outriders, en développement depuis près de cinq ans pour le compte de Square Enix. Un jeu dans l’air du temps, aussi passionnant que perfectible et irritant : après la déception Avengers, l’éditeur japonais tient-il enfin son jeu service de référence ?
- Des systèmes intriqués et profonds
- Techniquement solide
- Artistiquement inspiré, parfois
- Contenu très costaud
- Univers pas très original
- Manque de punch des armes
- Scénario confus
- Level design souvent sommaire
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Des débuts qui questionnent
Tout commence plutôt mal. Dans la lignée de la démo jouable, qui aura largement divisé, le début de l’aventure ne laisse pas augurer des meilleurs auspices pour le dernier People Can Fly. Lente, poussive, morcelée, bourrine jusqu’à l’outrance, la proposition du studio polonais ne révèle finalement sa substantifique moelle qu’aux abords de son endgame, si elle ne vous a pas laissé sur le bas-côté avant ça.
Il est en effet possible d’entrevoir enfin la lumière après plusieurs heures de jeu, à enchaîner les affrontements sans saveur dans des niveaux construits pareils, les pics de difficulté frustrants et les déconnexions intempestives, stigmates d’un lancement chaotique comme on en a malheureusement l’habitude avec les jeux connectés. Diablo III, il y a neuf ans et avec tous les moyens du monde, avait après tout déjà connu des problèmes similaires. Si cela n’excuse rien, il serait dommage de bouder Outriders pour ces errements techniques, même si le premier contact avec le jeu relève un peu du parcours du combattant.
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En panne d’identité
D’abord, il faut endurer la narration agitée du titre de Square Enix. Tout en caméra portée, ellipses parfois absconses et myriades de rebondissements, trahisons, moments de sacrifice et de bravoure déjà vus mille fois dans la science-fiction moderne, l’histoire d’Outriders tout comme sa mise en scène finissent irrémédiablement par fatiguer. La faute à des enjeux insaisissables goût Série B qui se prennent trop au sérieux pour nous intéresser, et un vocabulaire faussement subversif qui convoque l’adolescent qu’on espérait définitivement en cryostase, comme le héros ou l’héroïne que l’on incarne dans l’aventure. Non, un “putain” toutes les deux secondes n’est pas synonyme de maturité ou de profondeur, et l’exécution de sang froid d’un antagoniste sans défense n’a rien de cool ou de badass.
Ensuite, on prend de plein fouet le côté générique de l’univers et du gameplay. Outriders est un TPS sci-fi doté d’un système de couverture, et il se confronte nécessairement aux parangons du genre qui font la pluie et le beau temps depuis au moins quinze ans. Moins chirurgical et réactif que le premier Gears of War (sorti en 2006), le système de couverture est un refuge branlant que la moindre brise de difficulté viendra faire s’envoler en un instant, surtout quand la moitié des ennemis vous foncent dessus sans réfléchir. Inutile de miser sur la variété du level design : les enchaînements d’arènes trop semblables et étriquées aux murs invisibles fatiguent rapidement, même quand un semblant de verticalité tente de réveiller le joueur à partir du milieu de l’aventure.
Aucune interaction en dehors de quelques barils explosifs, trop peu d’exploration ; Outriders veut vous faire foncer dans le tas, et c’est un peu dommage au regard des inspirations esthétiques qui offrent quelques succulents panoramas. C’est un peu tout le problème de l’univers d’Outriders, moins inspiré, ouvert et créatif que le monde fascinant de Destiny. Les marais, déserts, mines et forêts que l’on arpente 15 à 20 heures durant offrent certes quelques belles envolées visuelles, mais ce trompe-l'œil aguicheur est trop vite balayé par le manque criant de liberté et d’intérêt général de l’exploration, limitée à la portion congrue.
Enfin, difficile de passer sous silence le lancement chaotique du jeu. La présence dans le Game Pass version console et une campagne de précommandes efficace semblaient pourtant offrir des indicateurs suffisants pour Square Enix, à même d’échelonner ses ressources pour assurer une sortie propre. Las, les déconnexions intempestives (même en solo), les plantages réguliers et l’impossibilité de rejoindre d’autres joueurs - inconnus comme amis, en crossplatform ou non - auront émaillé nos premières heures de jeu. Et si tout semble peu à peu revenir à la normale grâce à la réactivité de People Can Fly, difficile de faire fi de ces moments d’errance passés le regard vide dans les menus inertes du jeu.
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La lumière au bout du (long) tunnel
Problèmes au lancement, univers générique, gameplay TPS bas du front. On a largement aiguisé nos superlatifs dépréciatifs en parcourant les premières heures d’Outriders. Mais la lumière est finalement venue, grâce à ses systèmes de jeu à tiroirs qui révèlent - dans la douleur - une richesse et un intérêt insoupçonnables pour qui consent à gratter un peu. Le jeu propose quatre classes différentes, qui offrent chacune leurs spécificités et pouvoirs. Le Technomage est un sniper/healer, le Telluriste un tank efficace à courte portée, l’Illusioniste un spécialiste du corps à corps et le Pyromage un apôtre de la magie à moyenne portée. Chacun dispose de huit pouvoirs différents (attaque, défense, assistance), dont trois qu’il pourra utiliser en combat entre deux cooldowns. Voilà pour la base.
Si le principe du jeu reste de panpan boumboum tout ce qui bouge avec un sniper, un pompe, un fusil d’assaut ou un sort, chacune de ces classes offre un arbre de compétences touffu dans lequel investir les points de compétences glanés à chaque prise de niveau. De quoi optimiser l’utilisation des skills plutôt puissants, amusants à utiliser et variés, mais aussi améliorer ses caractéristiques générales. En parallèle de la progression du personnage, le niveau de difficulté global augmente lui aussi progressivement via le “niveau de monde”, modifiable à tout moment. Contre des ennemis toujours plus résistants et agressifs, on gagne de meilleurs pourcentages de loot légendaire et la possibilité de porter des équipements de plus haut niveau que le sien, entre autres. Voilà pour la partie jeu de rôle.
Chaque victoire est donc l’occasion de ramasser du précieux butin qui, à la manière du premier hack’n slash venu, viendra équiper votre personnage pour faire face aux périlleux affrontements qui s’annoncent, ou sera revendu au premier marchand qui passe contre quelque pécune. L’intérêt d’Outriders vient des synergies qu’il est ainsi possible de créer. Suivant nos choix, nos envies, la meta ou le hasard naissent des builds efficaces et cohérents pour les affrontements qui s'enchaînent, contre les espèces aliens comme les adversaires humains qui se dressent devant nous et posent chacun des problèmes différents. La possibilité de refaire son arbre de compétence, à tout moment et gratuitement, permet à tous d’opter pour une approche ou une autre sans contrainte, et donc de répondre de manière cohérente au défi permanent offert par le jeu.
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Le gendarme de Saint Droppé
Révélé assez tôt si on suit le niveau de difficulté croissant - qui a toujours un temps d’avance, occasionnant moult frustration et remise en question - ou assez tard si on renonce pour rusher l’histoire et atteindre le endgame, l’intérêt du jeu est pourtant présent dès le départ. Seul, on comprend rapidement que l’optimisation de son équipement est cruciale pour progresser sans heurt. Entre puissance de feu, défense et maximisation des pouvoirs, la richesse du système s’impose à mesure que les loots variés tombent et que les possibilités de personnalisation se découvrent. Certains attributs de notre stuff sont modifiables contre ressources, d’autres non, ce qui rend la quête de l’arme ou l’équipement adapté à notre manière de jouer intéressante et valorisante.
Pour notre Technomage, la combinaison d’un pouvoir rendant nos munitions empoisonnées avec une arme qui se recharge automatiquement lors de la mort d’un ennemi s’est par exemple avérée fructueuse, tout comme le fait de booster les possibilités du pouvoir de glacer les ennemis, pour éviter d’être trop rapidement submergé par la foule. Seul, c’est déjà plaisant et efficace, mais avec quatre classes de personnages et la possibilité de jouer jusqu’à trois, les possibilités sont tellement nombreuses qu’expérimenter builds et synergies coopératives devient aussi plaisant que nécessaire, d’autant que la grosse centaine de modificateurs d’armes et d’équipements offre une variété et une inventivité rafraîchissantes.
Adossée à un système de soin ingénieux (on regagne de la vie en faisant des dégâts, en utilisant nos pouvoirs ou en tuant des ennemis au corps à corps, suivant la classe choisie), cette riche complexité s’avère passionnante sur la durée, notamment face aux défis particulièrement relevés qui attendent les joueurs une fois le scénario bouclé. L’objectif du joueur en devient un peu contre-intuitif : attaquer est souvent le meilleur moyen de survivre, alors que battre en retraite lors d’une situation délicate est notre premier réflexe. Une approche originale du genre qui pousse à repenser ses schémas habituels de raisonnement, mais dont la finalité reste malgré tout la même : défourailler toute forme de vie sans se laisser déborder par l’ennemi. Le fait de confronter son système patiemment créé avec celui de l’adversaire, qui possède toujours plus de points de vie ou qui vient en surnombre, est la plus grande réussite du titre de People Can Fly.
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La meilleure défense, c'est l'attaque
Brillant et motivant, ce système se heurte néanmoins à la dure réalité : aussi énervées que puissent être les scènes d’action, souvent longues et éreintantes, le titre de People Can Fly souffre d’un certain manque de punch. On se réfère plus souvent aux dégâts infligés affichés en grand sur l’écran pour juger de l’efficacité d’une arme plutôt qu’au ressenti de son utilisation. Les pétoires manquent de sensations, de recul ou encore d’un sound design plus marqué pour que le sentiment de puissance soit total. Les headshots au snipe tapent un peu, ce qui rend leur utilisation très plaisante (même si ce n’est pas la meta), mais les mitrailleuses ou même les fusils à pompe nous ont un peu laissés sur notre faim.
C’est quelque peu contrebalancé par les capacités élémentales parfois associées aux armes (feu, glace, poison, électricité) et les effets visuels réussis des pouvoirs, mais le fait est que tirer au corps à corps avec un fusil à pompe qui fait trois mille de dégâts ou à distance avec un petit flingue qui fait quinze ne fait quasiment aucune différence. Outriders manque le coche sur cet aspect essentiel, alors même qu’il multiplie les efforts pour nous faire adhérer à sa proposition. Doublé entièrement en français, bardé de tutoriels et d’aides en tout genre, personnalisable à souhait dans son interface, et mêmes affublé de quêtes secondaires qui en racontent plus sur l’univers du jeu (à défaut d’être très évoluées dans leur conception), le titre de People Can Fly est plus un hack’n slash à systèmes qu’un shooter punchy et jouissif. Curieux pour un studio qui, avec Painkiller et Bulletstorm, nous avait plutôt habitué à l’inverse.
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Le endgame, c’est quoi ?
Le générique de fin ne marque pas la conclusion d’Outriders. Le scénario confus ouvre la porte à de nouveaux affrontements, nommés Expéditions, qu’il faudra nécessairement mener à plusieurs quand l’aventure, elle, peut se terminer seul. L’objectif est de triompher de niveaux intensément difficiles le plus rapidement possible pour espérer obtenir les meilleurs équipements. Pas folichonne sur le papier, cette proposition a le mérite de balayer d’un geste les certitudes des joueurs qui ont un peu trop pris ses systèmes à la légère, surtout s’ils ont décidé de se cantonner aux niveaux de monde les moins élevés.Énormes boss qui apparaissent en nombre, séquence improbable (et cool !) dans une boîte de nuit, les situations ne sont guère plus variées, mais l’intérêt est ailleurs : Outriders exige des joueurs une parfaite synergie de leur équipement et, c’est mieux, entre les trois joueurs impliqués s’ils espèrent progresser dans les Expéditions, jusqu’à un boss final mystérieux que l’on imagine Roi des sacs à PV. Une nouvelle monnaie est introduite, permettant d’accéder à de nombreux loots légendaires à faire baver. Capé à 30, le niveau maximal des personnages (on peut en créer plusieurs, pour tester les différentes classes) devrait également être amené à évoluer, si Square Enix est satisfait des performances du jeu et invite People Can Fly à créer de nouveaux contenus. L’éditeur a désormais l’habitude, après Avengers, des jeux-service qui s’imposent sur la durée :tousse:
Beau comme un camion
À l’image de son gameplay, très riche dans sa conception, mais plutôt sage dans sa retranscription à l’écran, la réalisation d’Outriders est ambivalente. Le sentiment de déjà vu est transcendé par quelques magnifiques décors et effets spéciaux dantesques, qui s’appuient sur la maîtrise de l’Unreal Engine par le studio polonais. Mais Outriders peine trop à sortir des sentiers battus de la sci-fi pour nous faire pleinement entrer dans son univers, qu’il met pourtant tant d’énergie à rendre crédible. Côté technique, le jeu est globalement très joli pour peu qu’on ait une machine récente. Avec une RTX 2080 Super, Outriders ne montre aucun signe de faiblesse une fois le DLSS activé (quel que soit le mode, parmi trois différents) et malgré quelques soucis de collision assez gênants en plein combat acharné, des scripts qui ne se déclenchent pas ou quelques animations simplistes, on ne trouvera pas grand-chose à redire sur son troussage.
People Can Fly aurait pu s’appuyer sur sa technique relativement irréprochable pour faire montre de son inventivité, mais ni les environnements, ni le bestiaire, les boss quelconques et les situations de jeu répétées ad nauseam ne parviendront à le faire sortir du lot, malgré quelques fulgurances franchement réjouissantes. La séquence dans les tranchées ou le niveau d’inspiration maya en sont de bons exemples, malheureusement trop seuls dans un océan de convenance. Il faudra se contenter du plaisir de faire toujours plus de dégâts, bien réel faute d’être tout à fait suffisant, et du bonheur de se heurter aux murs de difficulté du jeu - qu’une pleine compréhension des mécaniques suffira le plus souvent à faire tomber - entre gens de bonne compagnie, ce qui n’est malheureusement pas le seul apanage du titre de Square Enix.
Outriders, l’avis de Clubic
S’il faudra adhérer à sa proposition de base, qui privilégie les systèmes au détriment des sensations, Outriders reste malgré tout une bonne surprise dans un genre pourtant très balisé. Ses nombreuses couches de complexité - et donc d’intérêt - se révèlent au prix de déconvenues multiples, qu’elles aient trait au level design, à l’univers ou au manque de punch de son gameplay. Dans la douleur, Outriders parvient malgré tout à imposer ses systèmes complexes et passionnants lors d’affrontements dantesques en difficulté maximale, aux côtés de partenaires de jeu tout aussi investis. Il aurait sans doute suffi d’un level design moins académique pour créer des situations et des synergies coopératives absolument brillantes, et Outriders passe là un peu à côté de son principal enjeu : les amateurs d’expérimentations, de wiki et d’affrontements épuisants en auront malgré tout pour leur argent, notamment grâce à un endgame costaud qui ne laisse plus, contrairement à la quête principale, le droit à l’erreur dans la construction de son personnage et les choix de ses alliés du jour.
6
Les plus
- Des systèmes intriqués et profonds
- Techniquement solide
- Artistiquement inspiré, parfois
- Contenu très costaud
- Des affrontements parfois dantesques
- Endgame corsé
- Affronter la difficulté à plusieurs
Les moins
- Univers pas très original
- Manque de punch des armes
- Scénario confus
- Level design souvent sommaire
- Ennemis et situations peu variés
- Plantages / bugs / déconnexion