Dossier : jeux PC à prix cassés, notre enquête sur le discount du dématérialisé

G2Play.net, Green Man Gaming, GK4.me, Steam, Good Old Games… les revendeurs de jeux PC dématéralisés ne manquent pas. Le géant Amazon ne s’y est d’ailleurs pas trompé, puisqu’il s’est mis à la revente digitale de jeux PC fin 2011 sur son site américain. Derrière ces milliers d’offres alléchantes, de grosses questions restent en suspens. L’offre est-elle toujours légale ? Pourquoi les prix sont-ils si bas ? Qui se cache derrière ces enseignes numériques au cadre légal souvent obscur ? Des questions auxquelles nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse après une petite enquête semée d’embuches, qui commence là où s'arrête le tour d'horizon de nos confrères de Clubic, publié l'année dernière.

Depuis quelques années, le net a vu fleurir les boutiques plus ou moins accueillantes proposant des jeux PC en dématérialisé à un tarif défiant toute concurrence. Si les soldes de Steam vous font baver deux fois par an, et que Valve propose à tout moment différentes offres quotidiennes ou hebdomadaires, il n’est pas nécessaire d’attendre la bonne occasion pour toucher les dernières nouveautés à tarif préférentiel. Starcraft II : Heart of the Swarm à 25 euros quand Blizzard le vend encore 50, le dernier Tomb Raider à moins de quinze balles, les futurs Watch Dogs et Need for Speed à près de trente… Comment ces sites peuvent-ils pratiquer de tels tarifs ? Les éditeurs sont-ils au courant et voient-ils ces offres d’un bon œil ?

Pour la plupart des acteurs de l’industrie, la revente de clés CD est un sujet tabou. Chez les éditeurs, c’est une quasi-omerta qui règne sur le sujet : Ubisoft « ne vend pas de clef séparément des jeux et ne reconnaît pas les sites qui le font » sans plus de précision, Capcom n’a « aucune implication dans ce processus ». « Les personnes en charge de la distribution digitale » chez Namco Bandai « ne souhaitent pour l’instant pas s’exprimer sur ce sujet », et Bethesda ne nous a même pas répondu.

Certains nous disent « en off » qu’ils ne souhaitent tout simplement pas faire la promotion de ce type de service, moins avantageux pour eux que les boutiques officielles et leurs tarifs classiques, mais tout le monde reste muet sur les différences réelles de rétribution. Une chose est sure, personne chez les faiseurs de jeux ne souhaite que le sujet apparaisse au grand jour. Le manque à gagner étouffe l’envie de diffuser son titre au plus grand nombre, et si on préfère sans doute vendre à ce prix plutôt que de subir le piratage, toujours aussi important sur PC, on ne le dit pas ouvertement.

Du côté des sites marchands, les réponses sont différentes mais se rejoignent sur un point : « tout est parfaitement légal » nous répète-t-on chez Green Man Gaming ou GK4.me. Plusieurs sites nous ont confirmé ce que l’on présumait aux prémices de nos recherches : les jeux sont achetés en version boite et seuls les codes (majoritairement relatifs à Steam et Origin), présents dans la boite, sont vendus. Dans quelques pays d’Europe de l’Est, la Pologne notamment, les jeux vidéo sont vendus moins chers que dans les trois marchés principaux du continent (Royaume-Uni, France, Allemagne) pour mieux coller au niveau de vie des habitants de ces territoires. Ces fameux sites contactent donc les grossistes locaux et leur commandent directement les jeux. Pas de frais de stockage et faible marge sont les deux mamelles du succès de ces commerçants, qui ont le vent en poupe ces derniers mois.

Battlefield 4 est par exemple vendu, en version boite, 149,9 Zloty sur Gram.pl, l’un des gros revendeurs polonais. Cela représente moins de 35 €, alors que le jeu est proposé à 59,99 € sur la boutique officielle d’Electronic Arts. On ne peut savoir à combien un site de revente peut le toucher, mais certaines enseignes le proposent à 36,99 € en précommande, version Origin tout ce qu’il y a de plus clean : difficile de faire mieux. Pareil avec Company Of Heroes 2, vendu 49,99 € sur Steam, 139,9 Zloty sur Gram.pl (33 € environ) et 26 € sur la boutique en ligne la moins chère du site comparatif DLCompare, en version Steam également.

Avec l’ouverture des frontières entre les pays membres de l’Union Européenne, les revendeurs peuvent facilement acquérir des biens au sein de l’Union, sans taxe douanière. Un des sites contactés nous a même révélé que sa société mère était enregistrée aux États-Unis. Cette LLC (Limited Liability Company, l’équivalent de la Société A Responsabilité Limitée ou SARL) ne paie visiblement pas de taxe d’importation puisqu’elle fait scanner directement les boites des jeux en Pologne. Difficile de savoir s’ils bénéficient d’un flou juridique, puisque le jeu change de forme (de version boite à dématérialisé) au sein du territoire polonais. Les clés sont ensuite vendues en ligne, permettant une nouvelle fois d’éviter le paiement de taxes. « Comme iTunes » nous dit-on chez GK4.


Les revendeurs évitent les taxes comme ils peuvent
Une société américaine qui vend, dans toute l’Europe via sa filiale allemande, des jeux achetés en Pologne et « dépackés » puis scannés sur place, le montage parait fumeux. Légal tant que personne n’a porté l’affaire devant les tribunaux ? Contactée par nos soins, la juriste spécialiste du numérique Nastassia Procida nous affirme pourtant que le dématérialisé est bien soumis à la TVA : le consommateur doit la payer au taux allemand si le produit vient d'Allemagne, par exemple. Mais s'il provient d'un pays hors UE, qui ne prélève pas ce type de taxe (comme les États-Unis par exemple), il n'y a rien à payer pour personne. Ce sera le cas jusqu'au 1er janvier 2015 : par souci d'uniformisation, et pour contrecarrer les tactiques fiscales de grosses sociétés américaines (Apple, Google...) qui ne paient bien souvent aucune TVA en Europe, il faudra à partir de cette date régler la taxe au taux du pays qui accueille le produit. Dans notre cas, les 19,6% de la TVA française (20% au 1er janvier 2014).

Chaque société semble avoir son propre fonctionnement. GK4 est en effet une filiale d’une société américaine, G2play est basé à Hong Kong et Green Man Gaming au Royaume-Uni. Ce qui est sûr, c’est que chacun adapte sa marge en fonction des prix de revient. Contrairement à Valve et sa commission incompressible de 30% sur chaque transaction Steam, ces revendeurs peuvent être plus agressifs sur leurs tarifs grâce au fonctionnement de leur business, qui dépend beaucoup des grossistes d’Europe de l’Est. Tous les moyens semblent bons pour proposer les prix les plus bas, poussant parfois ces boutiques à se fournir un peu plus à l’Est.

Les versions russes de certains jeux pullulent en effet ces derniers mois. L’achat semble être légal, mais l’installation est contraignante et risquée. Il est en effet nécessaire d’utiliser un VPN, afin de simuler une adresse IP russe ou ukrainienne, pour activer le jeu. Cela va à l’encontre des conditions d’utilisation de Steam ou Origin, qui peuvent alors décider de suspendre votre compte. Cela se produit rarement dans les faits, mais mieux vaut en être conscient avant de se lancer. Se pose qui plus est le problème de la langue, la grande majorité des versions russes de jeux ne proposant pas le français dans leurs options. On galère à configurer le VPN et à mettre le jeu en français via un patch non-officiel pour économiser quelques euros, tandis que le flou juridique rend l’opération on ne peut plus suspecte.

On entend ainsi souvent parler de lots de clés bannis par Steam. Souvent issus d’Asie, ces lots ont un parcours on ne peut plus flou, tout comme les sociétés qui les vendent. Vol, contrefaçon, piratage : personne n’ose réellement parler ouvertement de ces pratiques, mais tout le monde confirme qu’elles existent « chez les autres ». L’utilisateur n'a, quant à lui, guère que son bon sens pour agir. La plupart des sites sont hyper réactifs, les clés étant données dans les dix minutes suivant l’achat, et les services client ne font pas de vague. On règle les litiges à l’amiable, souvent aux frais de la société qui vend la clé. La clé est-elle fournie proprement, ou s’agit-il d’une simple image du scan d’une notice de jeu ? La version est-elle bien PAL Multilangue, ce que l’on peut vérifier sur Steam au moment de l’activation du jeu (voir image ci-contre) ?

Ces quelques pratiques, ainsi que les avis des joueurs sur les quelques sites de comparaison qui officient sur le secteur, sont les seules armes des joueurs qui s’aventurent sur ces sites de vente. La question légale en suspens faute de clarté sur le sujet, reste aux consommateurs avisés d'accorder leur confiance aux sites qui leur en paraissent dignes. Il est ainsi assez difficile de croire ce revendeur qui propose des clés Steam de Grand Theft Auto V à 34,99 €, pour une sortie le 15 octobre prochain, alors même que Rockstar n'a pas encore confirmé l'arrivée du jeu sur les machines Windows. Pas très sérieux tout de même, comme cet autre revendeur qui prend le contrôle de votre compte Steam (si vous lui donnez votre identifiant !) pour régler un problème d'activation de clé. Il faut avoir confiance...

Sans doute pour décrisper une frange d'utilisateurs suspicieux, certaines enseignes s’impliquent de plus en plus dans le paysage économique de leur région. Green Man Gaming, site sérieux et fiable basé au Royaume-Uni, affirme avoir des contacts avec 180 éditeurs différents, des plus importants aux plus modestes. Quand aucun accord n’est possible, le site dit « se retourner vers un distributeur » à même de lui fournir quelques pièces du titre en question. Membre de l’UKIE – une association visant à la promotion du jeu vidéo au Royaume-Uni réunissant des éditeurs, des revendeurs, des distributeurs et quelques hommes politiques – GMG s’implique dans le développement de l’industrie du jeu vidéo outre-Manche, de la même manière que les revendeurs classiques. Pour vivre heureux, ne vivons pas nécessairement cachés.


Difficile d'avancer à découvert pour certains revendeurs
Même dynamique chez GK4.me, filiale allemande d’une société américaine employant six personnes et proposant elle aussi des jeux PC à tarif préférentiel. Soutien d’évènements gaming en Allemagne, sponsoring de quelques Youtubers officiant sur Machinima ou GameInside, stand à la prochaine GamesCom : on sent que la société, qui se développe rapidement et devrait bientôt recruter, cherche une légitimité sur la scène gaming allemande, historiquement tournée vers le PC. Malgré les tarifs agressifs pratiqués, l’argent rentre quand même dans les caisses grâce au montage expliqué plus haut. Cela n’empêche pas le site de proposer quelques clés russes tendancieuses, mais « le moins possible » et « seulement quand nous n’avons d’autres choix » nous explique-t-on.

Lignes juridiques floues, montages complexes, produits dématérialisés : les sites de revente de jeux sur PC profitent de l'absence de frontière numérique pour proposer des prix toujours plus alléchants. Si cela devrait changer à partir du 1er janvier 2015 et la nouvelle loi sur la TVA dans l'Union Européenne, ces sites marchands ont encore quelques mois pour profiter de leur passe-droit avant de trouver une nouvelle solution viable sur le long terme.

Côté consommateur, difficile de vous recommander un site en particulier. Si nous n'avons constaté aucun problème lors de nos quelques tentatives pour acheter des clés PC moins chères sur différents sites, les retards et problèmes de scan semblent assez fréquents chez certaines enseignes. Les gamers les plus fortunés achèteront donc leur tranquillité sur Steam ou Origin voire Green Man Gaming, le revendeur le plus sérieux que nous avons repéré, quand les amateurs de sueurs froides obtiendront leurs versions russes sur d'obscurs sites mal codés et probablement mal sécurisés. Entre les deux, une myriade de possibilités existent : à chacun de voir si le jeu en vaut la chandelle, et de trouver son site de (p)référence sans forcément chercher le tarif le plus compétitif.