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Publiée le 19/07/2013 à 17:07, par Nerces / Virgile

Quand le butin d'Activision se planque sous le soleil des Bermudes

Activison Blizzard userait de nombreuses techniques pour éviter de payer le moindre impôt en France notamment.

Publiée aujourd’hui même, une enquête réalisée par BFM Business fait la lumière sur un phénomène que l'on réserve généralement aux grands groupes industriels : l'optimisation fiscale. Derrière ce terme, se cache un procédé on ne peut plus légal et qui permet de limiter considérablement le montant de l'impôt dû par de nombreuses sociétés.

Au travers de leur article, nos confrères épinglent les méthodes d'Activision Blizzard souvent présenté comme l'éditeur de jeux vidéo le plus rentable. Pour parvenir à un tel résultat, il faut bien sûr commercialiser des titres qui fonctionnent auprès du public - Call of Duty, World of WarCraft... - mais pas seulement. Un habile montage financier permet effectivement de ne payer quasiment aucun impôt.

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L'essentiel des profits générés hors d'Amérique du Nord partiraient ainsi aux Bermudes, un paradis fiscal qui permettrait à Activision Blizzard de ne payer que 38 millions de dollars d'impôts hors des États-Unis : BFM Business rappelle que cela ne représente que 4,8% des bénéfices de l'éditeur. De manière plus générale et alors que l'International compte pour 50% de ses revenus, il ne représente que 12% des impôts acquittés.

Activision Blizzard
Nos confrères évoquent la mise en place de six filiales néerlandaises basées fiscalement aux Bermudes pour parvenir à ce résultat et pour profiter des failles de la fiscalité européenne. En définitive, on se retrouve dans une situation ubuesque où les deux filiales d'Activision Blizzard ne reversent presque rien en France : Activision Blizzard France SAS n'a payé que 64 609 euros d'impôts en 2011 quand le fisc doit de l'argent à Blizzard Entertainment SAS du fait de pertes par le passé.

Afin d'obtenir quelques éclairages sur cette affaire, nous nous sommes directement entretenus avec l’auteur de cette enquête, le journaliste Jamal Henni, afin, d’abord, de revenir sur les raisons de cette investigation : «A l’origine, j’enquêtais sur la situation de Vivendi. Quand on regarde où est leur trésorerie, on voit que les trois quarts sont chez Activision Blizzard. Et quand on s’intéresse au cash d’Activision Blizzard, on se rend compte que 60% n’est pas aux Etats-Unis, mais est offshore. J’ai donc demandé à Vivendi où se trouvait la trésorerie, et le porte-parole m’a répondu : «je n’ai pas d’info sur ce point» ».

Une dérobade qui a évidemment poussé le journaliste de BFM à creuser le sujet. En cherchant à savoir à qui appartiennent les filiales françaises, Jamal Henni est ainsi remonté jusqu’à une société néerlandaise baptisée Coöperatie Activision Blizzard : « Avec une collègue qui parle un peu néerlandais, j’ai consulté le registre du commerce des Pays-Bas afin de savoir à qui cette société appartient, et je suis tombé sur ATVI, basée aux Bermudes»

« Les géants américains de la high tech ont pour stratégie de payer des impôts aux Etats-Unis, et de ne pas en payer ailleurs »

Ce genre d’astucieux montages n’est évidemment pas l’exclusivité d’Activision Blizzard. D’autres grosses sociétés américaines sont coutumières du fait, comme Apple, Google, Microsoft ou Facebook pour ne citer que les plus connues : «Les géants américains de la high tech ont pour stratégie de payer des impôts aux Etats-Unis, et de ne pas en payer ailleurs. Et elles y parviennent : Apple ne paye quasiment pas d’impôts en dehors des Etats-Unis, Google, Microsoft et Facebook non plus. Pour cela ils utilisent des paradis fiscaux où l’argent s’accumule. Et ils arrivent à ne quasiment pas payer d’impôts dans les pays où ils vendent effectivement leurs produits, par exemple en France. Ils passent alors par un état européen à la fiscalité avantageuse du type Pays-Bas ou Irlande, et ensuite ils envoient ça dans un paradis fiscal comme les Bermudes, les Îles Vierges, les Caïmans, où il n’y a pas du tout d’impôts sur les bénéfices.».

Activision Board Meeting
Mais avant cela, il faut d’abord s’assurer que les bénéfices susceptibles d’être taxés par le fisc français soient suffisamment dérisoires. Là encore une technique partagée par de nombreuses sociétés permet de soustraire une grande partie de l’argent engrangé sur le sol français au regard de l’administration hexagonale : «Le mécanisme de Google, Microsoft, Activision… repose sur les royalties sur les brevets. En simplifiant, le produit (logiciel, jeu…) est développé aux Etats-Unis, et à ce produit sont attachés des brevets, ou en anglais des Intellectual Property Rights (IPR). Ensuite, la maison mère concède une licence d’utilisation des brevets à une filiale basée dans un paradis fiscal. Enfin, cette filiale accorde une autre licence d’utilisation aux filiales européennes. Au final, les filiales en Europe doivent payer des royalties très élevées pour pouvoir vendre ces produits, et elles sont donc très peu rentables. La filiale basée dans le paradis fiscal reçoit alors l’argent de ces brevets, et c’est donc là que sont faits les bénéfices… là où il n’y a pas d’impôts.»

Le fisc français owned ?Retour au sommaire
Toutefois, la situation n’est pas totalement à l’avantage de ces géants américains qui, au bout du compte, se heurtent à un épineux problème : « Une fois que l’argent est aux Bermudes, ils ont un problème pour le rapatrier aux Etats-Unis. Parce que si l’argent est rapatrié, alors il faut payer des impôts aux Etats-Unis, où le taux fédéral est de 35% des bénéfices » auquel s’ajoute un taux supplémentaire propre à chaque Etat. A titre de comparaison, le taux global de l'impôt sur les sociétés en vigueur en France est de 34,43%.

«Donc évidemment, les géants de la high tech n’ont aucune envie de le faire, et se mettent à accumuler dans les paradis fiscaux des milliards. Ils font donc du lobby auprès du gouvernement américain pour obtenir des conditions très favorables au rapatriement de l’argent. Sous l’administration Bush, un tax holiday avait été mis en place, à savoir une fenêtre qui permettait ce rapatriement à un taux de seulement 5% au lieu de 35%. Mais l’administration Obama a toujours refusé de le faire malgré un lobbying intense de Microsoft, Apple et compagnie. Ces sociétés essaient de faire valoir l’argument selon lequel cet argent permettrait de créer des emplois aux Etats-Unis, mais des études menées par les parlementaires américains montrent que la fenêtre ouverte par Bush en 2005 n’a pas créé beaucoup d’emplois»

Quelle réaction du gouvernement français ?Retour au sommaire
Il n’empêche que, du point de vue européen en général et français en particulier, cette affaire Activision et celles qui l’ont précédé ont de quoi susciter l’indignation. Alors que le pays est plus que jamais animé par la question de la taxation des revenus exilés dans des régimes fiscaux inoffensifs, notre confrère entrevoit trois moyens d’action possibles, même si, pour autant, aucun n’est à la fois simple et efficace :

Bobby Kotick
«La première solution est de leur mettre des contrôles fiscaux sur le dos. Bercy l’a fait avec Google par exemple, qui a eu droit à un redressement fiscal de 1 milliard d’euros. Microsoft connaît aussi régulièrement des redressements fiscaux. Ces redressements se basent en général sur le fait qu’ils ne déclarent pas leur chiffre d’affaires en France tout en réalisant leurs affaires sur le territoire. La deuxième solution serait d’instaurer une taxe spécifique pour cibler ces gens-là. Mais c’est très compliqué, cf la taxe Google dont on a beaucoup parlé. Enfin, la troisième solution est d’essayer de boucher les trous dans la passoire qu’est la fiscalité mondiale. C’est ce qui serait le plus efficace mais aussi le plus long et le plus compliqué. Des négociations sont en cours en ce sens au niveau de l’OCDE».

Bobby et ses amis : ennemis ludiques n°1 ?Retour au sommaire
On voit donc bien que les manœuvres d’Activision Blizzard mises en lumière par l’enquête de notre confrère n’ont, en définitive, rien de nouveau et sont pratiqués par beaucoup d’autres. Reste que, pour le joueur intéressé par ces questions, ces pratiques, certes légales mais éminemment discutables, viennent encore ternir l’image d’Activision, déjà sérieusement écornée par les fermetures expéditives de studios ou encore la concentration de son activité autour de quelques rouleaux compresseurs commerciaux.

Car, comme le rappelle Jamal Henni, «Activision est une vraie cash machine, ils génèrent près d’un milliard de cash chaque année. Ils dégagent une marge avant impôts de 30%. Donc quand une société aussi rentable parvient à ne pas payer d’impôts en France, ça interpelle.». Nous n'avons donc plus qu'à observer quelle sera la réaction de l'Etat français vis à vis des agissements du géant américain.

La Rédaction tient à remercier Jamal Henni pour son aide précieuse et sa disponibilité. Nous vous invitons évidemment à consulter son enquête éclairante sur le site de BFM Business.
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