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Publiée le 02/12/2014 à 18:12, par Maxence

EIGD : du rire aux larmes, les indés français se serrent les codes

Par et pour les développeurs indépendants, les EIGD gagnent en intérêt chaque année.

EIGD 2014

Pour leur troisième édition, les European Indie Game Days (appelons-les EIGD) revenaient à Montreuil, les 27 et 28 novembre derniers. Organisé par le Syndicat National du Jeu Vidéo, cet évènement professionnel regroupe différents acteurs de l’industrie dans un but commun : dessiner le jeu vidéo indépendant de demain. Comme l’annonce le Délégué Général du SNJV Julien Villedieu en préambule, l’idée est de réunir la « grande famille » du jeu vidéo européen – mais, soyons honnêtes, surtout français – pour deux jours de conférences thématiques, sur fond de remise de prix.

Fin de la gloomy-mood ?
Après une édition 2013 qui insistait, peut-être plus que de raison, sur les difficultés d’exercer le métier de développeur indépendant compte tenu de la conjoncture (marché saturé et difficulté d’exister, manque de subvention et de soutien des éditeurs…), nous voilà face à une mouture 2014 au programme déjà un peu plus enjoué. La première conférence est le symbole d’un milieu indé français vraisemblablement ragaillardi par de récents succès : sur le thème un peu prétexte de la tendance rétro, le SNJV affiche fièrement quelques réussites hexagonales. C’est un Frédérick Raynal auréolé du succès de sa campagne Ulule pour 2Dark qui taille une bavette avec Nicolas Cannasse, et son million d’Evoland vendu.

Avec un peu de malice, on pourrait rapprocher le changement d’humeur des EIGD 2014 de celui de son principal instigateur, Thierry Platon. Un peu englué dans une suite de productions low-budget avec son studio Bip Média, l’instigateur des EIGD semble revivre depuis qu’il a rejoint Raynal chez Gloomywood pour le développement de 2Dark. L’heure est donc venue de trouver des moyens d’aider les jeunes talents à canaliser leur énergie, plus qu’à dresser un état des lieux déprimant de la situation. Et ce, même si le constat n’a pas vraiment changé depuis l’année dernière.

De l’huile dans le moteur
Self
On aura ainsi droit, deux jours durant, à quelques passionnants échanges cernant les principaux enjeux de la production vidéoludique : le choix du moteur, les épineuses questions de l’Early Access et de la réalité virtuelle ou encore l’enjeu majeur du financement, classique, participatif ou à base de système D. On terminera ce tour d’horizon par les notions principales de « self-branding » (ou auto-promotion), défendu par quelques acteurs majeurs de la scène indépendante comme Rami Ismail de Vlambeer (Ridiculous Fishing, Nuclear Throne…) ou Sos Sosowski (McPixel), ou encore un état des lieux des événements indépendants majeurs à ne pas rater (IndieCade, IGF, les game jams…).

L’occasion d’entendre, de la bouche d’Alexandre Houdent de Globz, qu’il est toujours possible de développer sous Flash (renommé Air par Adobe), mais aussi que le langage natif permet à Frédérick Raynal d’adapter son code à ses envies, et surtout de les traduire aisément en d’autres langages de programmation avec Monkey X. A l’opposé se tiendra Aurélien Regard, pour qui le plaisir de programmer sera plus important que le moteur en lui-même. Quand on voit ce que donne The Next Penelope, son prochain jeu réalisé avec Construct, on est tenté de croire en la viabilité de sa méthode, à condition d’accepter d’être dépendant de l’équipe en charge des mises à jour du moteur. On nous présentera aussi les bienfaits de Unity, moteur simple et adaptable à l’aise en 2D et en 3D, pour un constat évident, même pour un béotien de la presse : chaque profil de studio, suivant sa taille, ses compétences en programmation et ses envies, trouvera un outil à même de concrétiser ses ambitions, à condition de se poser les bonnes questions en amont.

The Next Penelope


Accès (trop) anticipé
EIGD 2014
Ensuite, les deux têtes pensantes d’Amplitude Studios sont venues expliquer leur (passionnante) méthode de fonctionnement. Ils ont d’une part répondu à toutes mes interrogations éthiques formulées l’année dernière à l’encontre du crowdsourcing, qui consiste à impliquer les joueurs très tôt dans le développement du jeu, avant de développer l’intérêt pour eux de passer par l’Early Access de Steam. Endless Space est, à ce titre, l’un des pionniers de la plateforme et le parangon de l’accès anticipé vertueux : il n’était pas question pour eux de penser au financement (même si « il a bien aidé »). La démarche s’inscrivait plus dans la philosophie générale du studio, qui a repris cette méthode pour ses titres suivants. L’idée, c’est bien de proposer le jeu rêvé par la base communautaire – qu’il a fallu créer au préalable – avec un « contrat moral » scrupuleusement respecté par la structure parisienne.

Une durée moyenne satisfaisante de quatre mois pour l’Early Access, des informations données aux joueurs toutes les deux semaines, une pré-alpha réservée à une cinquantaine de VIP très proches du studio, des rewards aux joueurs investis (prix réduit, contenu exclusif, crédits) : on est assez loin des Early Access scandaleux lancés à tours de bras par les studios, connus (Double Fine) ou non, pour récupérer quelques deniers nécessaires pour terminer le jeu. Romain de Waubert le dit très bien : l’accès anticipé n’est en aucun cas un financement. Amen.

Argent ? Trop cher !
D’argent, il en a également été question lors d’une discussion foisonnante entre quatre « financeurs » assez différents : Cédric Lagarrigue de Focus est venu défendre le point de vue de « l’éditeur indépendant », fort de ses dix projets rentables cette année… sur dix productions ! L’occasion pour lui de rappeler son amour pour Sylvain Passot et son jeu Space Run, dont une suite est d’ores et déjà en préparation. « Face » à lui, Aaron Isaksen représentait Indie Fund, un fond de financement créé par des développeurs indés à succès comme Jonathan Blow (Braid), Ron Carmel (World of Goo) ou Kelee Santiago (Flow, Flower) dans le but d’aider certains projets, le fond se limitant à doubler son investissement de départ en cas de gros succès.

La discussion fut très animée par la présence de Guillaume Lautour, gérant d’un fond d’investissement privé. Derrière ses saillies verbales franches et décomplexées, comme « il ne faut surtout pas être TROP créatif » et « oui, nous on est là pour faire de l’argent », il a rapidement emmené le débat sur le fond du problème – la prise de risque, le professionnalisme du développeur – et ainsi créé des échanges vifs et intéressants. A leurs côtés, le pauvre Arnaud Burgot de Ulule n’avait pas forcément grand-chose à ajouter, beaucoup d’éléments ayant déjà été apportés la veille, lors de l’intervention de Michel Thomazeau, l’un des gros succès français sur Kickstarter cette année avec Planets³ (310 000 dollars récoltés).

Le succès : une réalité virtuelle
Pour redonner un peu de peps à un évènement qui lorgnait fort côté business à ce moment, les EIGD avaient prévu une fin en feu d’artifice. L’inénarrable Sos Sosowski (son titre, McPixel, lui a rapporté 7000 dollars de dons en étant librement téléchargeable sur The Pirate Bay) fait alors montre de la fougue qu’on lui connait. Il invite les indés à produire, en permanence, et à montrer leurs jeux. Même les plus inavouables, comme ceux des Popovkasts, des game jams d’une heure où il faut créer un jeu en étant alcoolisé. A se mettre en avant aussi, via Twitter ou autre, et à se rendre à un maximum d’évènements possible pour échanger. Pour exister en somme.

Une notion rapidement reprise par Rami Ismail de Vlambeer, la guest star de l’évènement. Si on essaiera de revenir en détails sur la passionnante histoire de son studio, derrière Ridiculous Fishing ou encore Nuclear Throne, le géant néerlandais a enchaîné les scuds à destination des indépendants. Ne pas négliger le marketing, ne pas négliger sa valeur et la valeur de ses jeux, savoir pitcher correctement son titre pour le rendre attrayant, bien réfléchir à l’utilisation de l’argent et du temps disponibles, car « les deux ne se dépensent qu’une seule fois » sont autant de notions sur lesquelles le charismatique développeur s’arrête, devant une assistance aussi conquise par sa prestance scénique que par son expérience, impressionnante pour quelqu’un de 25 ans. C’est donc à point nommé qu’intervient Stephanie Barish pour parler d’IndieCade, l’un des festivals indépendants les plus en vue : chacun se prend alors soudain à rêver d’une des prestigieuses distinctions remises lors de l’évènement, souvent synonyme de (gros) succès.

The cake is a lie ?
EIGD 2014
Cerise sur le gâteau, des prix ont également été remis à Montreuil : quatre EIGD Awards récompensent l’originalité, l’innovation, un jeu étudiant et la cohérence artistique. Ils sont accompagnés d’un Grand Prix et d’une distinction choisie et remise par Est-Ensemble, l’un des partenaires de l’évènement. Bon, ok, le palmarès a de la gueule, notamment avec l’excellent Deadcore en figure de proue, le très rigolo Mucho Party ou encore le curieux Adsono, qui invite deux joueurs à s’arnacher de boutons poussoirs pour une sorte de Twister humain bien fendard. Mais la noble entreprise de récompense reste entachée d’une erreur de débutant : le système de pré-vote, qui mâchait le travail au jury final, n’était pas sécurisé et permettait à quiconque ayant compris le système de voter plusieurs fois pour un projet – son projet –, truquant donc quelque peu le palmarès en pénalisant les développeurs de bonne foi. Un peu dommage, surtout quand les distinctions s’accompagnent d’avantages en nature (somme d’argent, portage d’un jeu console…).

Gameplay maison dans différentes zones



Du code aux larmes
EIGD 2014
La vraie cerise sur le gâteau, c’était donc la traditionnelle séquence de présentation de jeux qui conclut l’événement depuis l’année dernière. Organisée par l’association Pitch My Game, la session nous a permis de découvrir le très prometteur QLRZ (prononcez Colorz pour la street cred’), un puzzle-game basé sur du color-match à la réalisation visuelle et sonore léchée et aux mécaniques pures, prévu pour l’année prochaine sur supports mobiles et ordinateurs en tous genres. On a aussi aimé Steredenn, un shoot’em up hyper maniable au tactile malgré sa difficulté (très) relevée, et Neuro Voider, un rogue like en vue top down se jouant à quatre en coopération, avec des niveaux et des ennemis générés aléatoirement. Ce fut également l’occasion pour nous de redécouvrir Wojna Taniec, auquel on a joué au printemps dernier à Berlin, mais qui a nous a éblouit par sa bande son polka et le potentiel de sa « nouvelle » réalisation, le jeu étant désormais développé sous Unity. Sortie également prévue l’année prochaine.

Si l’intéressé ne sera sans doute pas d’accord avec les lignes qui suivent, l’indiscutable grand moment de ces EIGD 2014 fut la présentation, par William David, du Seasons After Fall de son studio Swing Swing Submarine. Plutôt qu’un bête pitch du jeu d’aventure très stylisé vous incitant à jouer sur les différentes saisons pour progresser, le montpelliérain s’est étendu sur la genèse du projet, entamé en 2009 avant d’être mis à l’arrêt suite à un problème d’argent. Coincé, le studio pond alors l’excellent Blocks That Matter et sa fausse suite, Tetrobot & Co, avec un gros succès critique et commercial pour le premier. Suffisant en tout cas pour se replonger corps et âmes dans le projet de cœur de Swing Swing. Une charge visiblement lourde à porter pour William David, dont les quelques larmes lâchées au cours de la présentation plongent l’assemblée dans un étonnant mutisme. L’émotion, la vraie.

Seasons After Fall
Seasons After Fall, un jeu riche en émotions ?


Conclusion
Au fil du temps, les EIGD s'imposent comme un évènement majeur de la scène indépendante française. Si les tentatives d'internationalisation (avec de la traduction en temps réel notamment) montrent clairement la volonté expansionniste de ses organisateurs, ce n'est pas encore cette année que les Indie Game Days assumeront totalement leur côté européen. Pour le développeur wannabe comme le professionnel chevronné, ces deux jours restent malgré tout l'occasion parfaite d'élargir son réseau et de montrer ses travaux, tout en prenant bonne note des retours (souvent) constructifs de ses pairs. Mais c'est surtout l'occasion pour lui, quel que soit son niveau ou son expérience, d'embrasser la communauté protéiforme à laquelle il appartient, et donc d'envisager ses questionnements futurs sous ce nouveau jour, plus collectif et solidaire. Qu'il s'agisse du présent ou de l'avenir - la réalité virtuelle, sur scène comme en coulisses, était omniprésente - les développeurs indépendants semblent avancer soudés.

EIGD 2014
EIGD 2014
Réseautage à gauche, Oculus x Movember à droite
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