flechePublicité
Publiée le 05/04/2013 à 12:04, par Daniel

Japan Game Center n°5 : Square Enix Amer

Square Enix annonce de lourdes pertes et vire son patron. Quelles sont les solutions pour une entreprise qui n'a pas démérité.

Square & Enix, la compagnie de mes premières amours de jeu vidéo. Fut un temps, la guéguerre était de savoir laquelle de ces deux compagnies savait mieux faire les RPG. Et puis un jour, plus besoin d'argumenter, les rivaux ont fusionné.

Je me souviens encore de cette matinée du 1er avril 2003, dix ans tout rond. Final Fantasy XI, encore inédit en Occident, m'avait exigé une énième mise à jour. La version PC était encore assez fraîche, j'y jouais sur PS2 équipée d'un PSBBUnit, le disque dur avec carte réseau intégrée qui crachotait déjà de manière inquiétante. Il ne doit sans doute plus marcher aujourd'hui, mais rien que de repenser à ce boitier externe un peu contraignant me rappelle combien j'étais fou d'investir autant de temps et d'effort pour jouer à des jeux qui n'en méritent pas toujours la peine. Quoi qu'il en soit, quelques minutes plus tard, la mise à jour s'installe. La seule utilité de ce patch était de changer le copyright sur la page d'intro de FFXI, devenant officiellement le premier soft griffé Square Enix. J'étais tellement surpris de la méticulosité de la procédure que j'en ai pris une photo.

Ff11
Final Fantasy XI, rétroactivement le premier jeu "Square Enix".

Final Fantasy et Dragon Quest sous la même enseigne, la fierté matinale dans toute sa splendeur. « Bon courage pour trouver une synergie de groupe » pensait-on aussi alors.

Il me faut revenir sur quelques détails assez connus de cette fusion pour poursuivre notre histoire, à savoir la situation du début des années 2000. Enix est en position de force puisque Dragon Quest VII est devenu le jeu PlayStation le plus vendu de tous les temps au Japon. 4 millions d'exemplaires, tranquille. C'est aussi l'éditeur d'une seule grosse série, où les années fiscales sans un seul DQ font très mal à l'entreprise. C'est ce qui explique les remakes qui sortent à cadence métronomique. Enix est aussi une compagnie qui édite des jeux assez originaux, qui prend des risques grâce à ce parapluie de cash que représente la sortie d'un Dragon Quest.

De l'autre côté du ring, le Square du nouveau millénaire entre dans une tempête après une période de croissance extraordinaire grâce au pari réussi de FFVII et la PSone. Avant 2000, tout se vendait, même les petits jeux mineurs et Square se sentait pousser des ailes. À titre d'exemple, ils ont refusé de faire un Xenogears 2 parce que le premier n'avait pas dépassé le million d'exemplaires. 900 000, bon sang, c'est fou de s'imaginer que c'était une barre trop basse pour une nouvelle I.P.

Malheureusement, ils ont eu trop d'appétit : il y a d'abord eu la petite méforme de Final Fantasy IX qui a pataugé devant Dragon Quest VII, tous deux sortis dans un mouchoir de poche. Mais ce qui a complètement mis dans l'eau Square, c'est Final Fantasy : The Spirits Within. Une mauvaise promotion, un long métrage trop coûteux, boudé par la critique et le public, le film en images de synthèse qui ne méritait pas une telle dérouillée est à ce jour un des plus gros gadins du cinéma tout genre confondu. Rapporté à l'inflation, c'est encore pire. Après un tel fiasco, déboulonné, Hironobu Sakaguchi n'avait plus aucune liberté dans son travail de producteur. Il a donc démissionné de son poste de vice-président exécutif et après avoir collé les dernières rustines sur les productions encore en chantier, il est parti "Mistwalker" sur son chemin. Ce n'est pas un hasard si le dernier soft de son ère est Final Fantasy X-2, la toute première fois qu'un FF cédait à la tentation d'une resucée d'un univers. Et certainement pas la dernière.
final fantasy spirits within
Final Fantasy : The Spirits Within


"Fuuuuuusion, haaaaaaaaaa"Retour au sommaire
En 2003, c'est donc un nouveau géant qui s'éveille. Et la première volonté de la société sera de faire fructifier ses licences. Ce sera la déclinaison de Final Fantasy sous plusieurs bannières. Compilation of Final Fantasy VII sera l'étendard de Cloud, de ses séquelles comme de ses préquelles. Ivalice Alliance regroupera sous un seul giron tout le monde créé par Yasumi Matsuno, de Final Fantasy Tactics à FFXII. Enfin, le plus décrié sera Fabula Nova Crystallis : Final Fantasy qui unit tous les produits FFXIII. Non loin de ça débarquent les Kingdom Hearts. Petit à petit, on est entré dans l'ère du multi-plateformes et la compagnie a un peu de mal à s'y faire, changeant complètement de direction en cours de route, comme ce fut le cas de Last Remnant, annoncé comme multi, ou FFXIII, proclamé d'abord comme une grosse exclu. L'essort des smartphones sera là aussi une occasion de faire des remakes à bas prix d'un gros catalogue. On y reviendra.
FFXIII3
Lightning a désormais sur ses épaules la lourde tâche de boucler la saga XIII.


Enix est un peu plus simple dans son offre. On a l'héritage Dragon Quest et quelques séries pour se faire plaisir, les Star Ocean, Drakengard, Valkyrie Profile, etc. Mais derrière cette allure d'entrepreneur sérieux, l'entité Enix et à sa tête Yûji Horii prend des risques en déclinant Dragon Quest là où l'on ne l'attendait pas, d'abord sur DS puis sur Wii et WiiU.

Il faut quand même souligner les réussites. La synergie cross-media a été améliorée, avec notamment Full Metal Alchemist, un carton en manga, à la télé et (presque) en jeu. Square Enix a fait son entrée dans les salles d'arcade au Japon grâce au rachat de Taito. Enfin, il y a une reprise des relations avec Nintendo, principalement par le biais de la DS avec quelques co-développements à la clef. Enfin, le rachat d'Eidos a permis au mastodonte de diversifier d'un coup son catalogue et de tenter d'endiguer la mauvaise passe créative et économique qu'affronte la société, et plus généralement le Japon (voir aussi Resident Evil 6).

Flashforward ! Square Enix a la gueule de bois. 13 milliards de yens de pertes pour l'exercice 2013. 104 millions d'euros. Yoichi Wada, PDG de la fusion des deux entreprises a été "décapité" comme on dit en Japonais, remplacé par Yosuke Matsuda, lui aussi un ancien directeur financier de l'éditeur. Phil Rogers, DG de Square Enix Europe devrait être promu chef de Square Enix Holdings et futur grand rénovateur de l'entreprise. Au même moment, on annonce des licenciements et des restructurations un peu partout dans le groupe, notamment à Square Enix Los Angeles. Sinistre période.

Analyse des problèmes et solutionsRetour au sommaire
Voici mon analyse mettant en exergue quelques-uns des problèmes et si possible quelques solutions.

1°) Arrêter de se mentir
Lors de l'annonce de son année de perte (je vous la fais en dollar ce coup-ci : 138 millions) et le bilan lisible sur ce rapport, Square Enix a blâmé ses jeux occidentaux pour ses mauvais résultats. Même si on peut comprendre que Sleeping Dogs peut paraître décevant du haut de son "petit" 1,75 million d'exemplaires écoulés... Même si, allez, Hitman : Absolution pouvait faire mieux que 3,6 millions, il est un peu exagéré de mettre dans le lot des déceptions Tomb Raider qui vient de totaliser 3,4 millions d'exemplaires en à peine 4 semaines, le record historique de la franchise. Combien s'imaginaient-ils en vendre, sans rire ?

Bandeau MOB Front Tomb Raider Lara Croft
Regardez bien le passage sur Tomb Raider, ils indiquent même le Meta Score, un changement de mentalité criant pour la firme. Comment peuvent-ils promettre des objectifs complètement irréalistes et ensuite venir blâmer ces mêmes jeux ? Le pire, c'est qu'il y a deux ans, ils étaient encore tout fiers de l'accueil reçu par Deus Ex et les autres héros occidentaux de la boite. Le pire (bis), c'est qu'on le savait, on l'avait vu venir. Même des responsables haut placés chez Square Enix se sont émus de la tournure de la société. Koji Taguchi l'avait d'ailleurs crié, sa honte, de manière virulente sur Twitter ; quelque chose qui ne se fait d'habitude pas trop au Japon.

Et dans le même temps, le même slide de chiffres et de conclusion de 2013 ne parle pas un seul moment de l'échec du développement des jeux "XIII" / "Fabula Nova Crystallis" qui a écorné de manière durable l'image de la saga. Quid de Versus XIII, annoncé fin 2005 (?!!). Et le pire, c'est qu'il n'y a pas un mot sur le fiasco Final Fantasy XIV, le seul jeu dont la sortie a carrément été effacée, les copies retournées... « promis, il renait cette année, complètement repensé ».


Le problème, c'est qu'on ne fait pas les RPG comme les doom-like. Même si l'on se donne du mal, on ne pourra jamais atteindre un tel débit sans baisser ses exigences qualitatives. Que plus personne n'entrave (ou même s'intéresse) à l'histoire de FFXIII est une chose. Sortir une aventure aux combats simplifiés, à la durée de vie tranchante (je suis arrivé au dernier boss en moins de 20h) pour une fin cliffhanger ridicule en est une autre. Pour la première fois de son existence, sur sol japonais, un Tales of réalise de meilleures ventes en première semaine de lancement qu'un FF canonique. Le public a dit « niet ». Proclamer "grande saga" avant même de savoir si les gens allaient adhérer au concept des Fal'cie ou des L'cie montre d'une manière éclatante la trop grande dépendance à une seule licence. C'est un de ses dommages collatéraux que Lightning Returns (FFXIII-3, donc) va essayer de panser.

2°) Faire revenir les artistes
On a vu partir Matsuno et ses copains, tués par la pression que fut FFXII. On a dit adieu à Toshiro Tsuchida, game designer de génie (Front Mission, les combats de FFX & XIII). Square Enix ne peut pas exister sans talents créatifs. La boite ne doit pas seulement se reposer sur Tetsuya Nomura, qui doit déjà avoir assez de pression comme ça. Le fait que Kazuya Ninou (créateur d'Etrian Odyssey, un artiste du "game system") s'occupe personnellement de rendre vie à FFXIV est la meilleure chose qui pouvait arriver au miraculé. Autre exemple positif, la confirmation du grand artiste qu'est Akihiko Yoshida (designer de Vagrant, FFTactics, FFXII, Bravely Default), dont le talent est reconnu et salué. Square & Enix ont toujours été une maison d'artistes et de créativité. Il est temps de faire le ménage de printemps et de redonner le pouvoir à ceux qui ont des idées.
Bravely
Bravely Default, un succès commercial, critique et artistique


3°) Communiquer sur les sorties
Ce n'est pas compliqué. La base même : le respect des fans. Des super jeux comme Bravely Default sortiront un jour chez nous, c'est forcé. Mais voilà, Bravely est sorti depuis 6 mois et Square Enix n'a toujours pas communiqué dessus. Même pas un « on y réfléchit ». Juste "rien". Il a juste été confirmé par ouï-dire il y a peu, mais c'est tout. Rien d'officiel. Mais ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Dragon Quest VII devrait logiquement sortir en Occident, mais pareil, pas de date. Rien non plus côté Dragon Quest X sur Wii U.

Final Fantasy Type 0 est un très bon action-RPG qui méritait une sortie occidentale et qui pourtant n'a jamais passé la frontière. On peut attribuer la responsabilité de cette grave erreur à un mauvais timing pour un jeu PSP alors que la machine s'est écroulée partout ailleurs qu'au Japon. D'après ce qu'il se dit, la faute reviendrait même à Sony qui aurait boudé une adaptation Vita. Que d'erreurs... Si même les constructeurs s'y mettent. En tout cas, les fans en sont à lancer une Opération Suzaku pour renouveler le miracle de l'opération Rainfall qui a aidé à sortir XenoBlade et The Last Story en Occident. Courage les mecs.
Type 0 2
Type 0
Passé du petit jeu pour téléphone portable à gros projet PSP, le sort de FF Type 0 est particulièrement injuste.


4°) Réussir à sortir son Monster Hunter-like
Au Japon, c'est important. Type 0 était d'ailleurs en bonne voie pour réussir. Je suis certain qu'ils planchent dessus. Un ami me disait aussi « et pourquoi pas un Skyrim-like dans le monde de FF ». Il a raison. Ça se vend à des millions d'exemplaires, on ne peut pas négliger ce genre-là. Un sous-genre basé sur une licence mais bien produit, ça marche à tous les coups. Regardez la réussite de Theatrhythm : Final Fantasy et le plaisir qu'ont eu les gens à simplement tapoter des notes. Parfois, les mélanges les plus absurdes fonctionnent.

Gameplay #2 - Morceaux choisis Final Fantasy 7



5°) Revenir à un équilibre entre projets originaux et licences
Le social gaming, les jeux iOS, c'est bien joli, c'est sans doute de l'argent de poche facile ; mais FFV sur iPhone à 15 boules, vraiment, les gars... Final Fantasy Dimensions à 18 €. Et glissons sur l'attrape-nigaud Final Fantasy Brigade / All The Bravest qui propose des personnages à 89 centimes pièce. On paye presque un centime le pixel ! Non mais où on est, là ?

Pareil pour les remakes, qui sont à la compagnie ce que le complément alimentaire est au culturiste, un petit plus pour aller un peu au-delà à chaque fois. Ne serait-il pas temps pour Square Enix de sortir Kingdom Hearts 3 au lieu de baguenauder avec Kingdom Hearts 1.5 HD Remix qui était censé clore l'année fiscale en beauté côté Japon ? Qu'arrivera-t-il après FFX HD Remix sur PS3 et Vita, ou quand un hypothétique Dragon Quest VIII HD sortira à son tour ? Des versions iOS ?
Et d'un autre côté, on a de bons jeux originaux comme Bravely Default (encore inédit en Occident, donc).

Tout le monde s'extasie devant Bravely Default. Bonne surprise aux ventes malgré la très mauvaise campagne pub de Square Enix, le RPG n'était pas des plus aimés en interne, principalement pour des raisons politiques. De là à penser que son nom clownesque vient de là, il n'y a qu'un pas. Mais ce qu'on oublie, c'est que, sorti de FF & DQ, Square & Enix, c'était des dizaines de séries à fort potentiel et des jeux cultes restés sans suite mais développés avec la même ferveur que Bravely Default. Souvenez-vous des Chrono Trigger / Cross, des Parasite Eve, Front Mission, Nier, Musashiden, Star Ocean, Romancing Sa.Ga, Valkyrie Profile ou encore de Xenogears. Et Secret of Mana ! Bon sang, j'aimerais tant revoir un bon action-RPG à l'ancienne... C'est comme si on avait laissé les clefs du genre à Nintendo et puis basta...

6°) Revoir le management
Ok, celle-là, elle peut paraître comme un vœu pieux. Comment est-il possible qu'on attende toujours Versus XIII depuis 7 ans, que certains espèrent encore avec la bave aux lèvres en voyant les personnages très Nomura sur fond de citation de Shakespeare ? Il a d'ailleurs de très grandes chances de se voir rebaptiser Final Fantasy XV vu les circonstances. Après le départ de Matsuno, Tetsuya Nomura s'est retrouvé comme principale tête pensante de la société. Selon les sources, le projet Versus XIII a commencé à cause d'un désaccord avec le producteur de FF XIII, ce qui explique à la fois le titre mais aussi le fait que le dessinateur / réalisateur / "creative producer" s'est consacré avant tout à sa série des Kingdom Hearts, se contentant que de signer les héros de XIII. Gardera-t-il sa position après le remaniement que va connaître sa société dans l'année à venir ?

Encore une fois, on était prévenu. Dans un tweet rageur de 2012, Hisashi Suzuki, l'ancien président de Square Enix de la période juste avant la fusion, balançait sur son ex-société. Une fusion qu'il qualifie d'« échec total, sans aucune vision du futur » avec la verve que seuls ont les anciens employés.

Final Re-QuestRetour au sommaire
Quand j'étais ado, je pouvais rester des heures durant à regarder un pote en train de jouer à un RPG. Pas d'option multi, les jeux Squaresoft et Enix étaient suffisamment captivants pour que je reste devant. Et quand venait mon tour, j'essayais de faire de multiples sauvegardes à des moments clefs, histoire de revivre l'Opéra de FFVI à n'importe quel moment, de refaire la fin de Final Fantasy Tactics ou le moment clef où le héros de DQV rencontre ses enfants pour la première fois. De petits moments de bonheur à l'échelle d'un gamin. Depuis le début de l'année, 80 % de mon temps a été consacré aux jeux Square Enix parce que j'aime ça. Ce n'est pas un hasard.

J'ai toujours Dragon Quest VII sur le feu, un RPG que je continue avec délectation, mais aussi Dragon Quest X que j'ai repris de manière passionnée sur Wii U. Je pourrais en parler pendant des heures tant il me fascine, tant il est plus agréable à jouer que sur Wii. Et j'ai encore ma sauvegarde de Bravely Default sous le coude, qui m'attend un jour, histoire d'avoir la deuxième fin possible. J'adore les jeux Square Enix et ce moment, parfois, quand ils prennent leur envol. Quand, entre une réussite de game design ou un moment réussi entre des personnages, ils arrivent à un état de grâce devenu trop rare. De DQ à FF en passant par Xenogears, Chrono Trigger ou Sa.Ga, Front Mission ou Secret of Mana, que de bons jeux là-dedans.
Img.dqx2
De la Wii à la WiiU, la population des joueurs de Dragon Quest X ne fait que croître.


Avec tout le passé glorieux des deux firmes et ses éclairs de génie, il ne serait que justice que la compagnie revienne à un rang qui est le sien, à reprendre son titre de "Dream Maker" abandonné depuis quelques années. Et puisque j'ai cette tribune pour dire le fond de ma pensée, j'envoie une bouteille à la mer : je serais prêt à tuer pour voir un nouvel Actraiser.

gif : petite Flèche orange
Plus d'articles Japan Game Center
Chargement des commentaires...
( les afficher maintenant )
flechePublicité

Partenaires Jeuxvideo.fr

Idées cadeaux JV

flechePublicité
flechePublicité