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Publiée le 23/07/2009 à 16:07, par Virgile

Au delà du jeu : Here comes a noob challenger !

On entend beaucoup palabrer au sujet de l’ouverture du jeu vidéo à un public profane. Vous voyez de qui je veux parler ? Votre voisin sexagénaire, votre petite sœur de 6 ans ou encore votre beau-frère commercial trop occupé par son boulot pour consacrer plus de vingt minutes consécutives à un jeu vidéo. On les appelle joueurs occasionnels, nouveaux joueurs, non-joueurs ou noobs selon le point de vue. Ils sont partout et, sans le vouloir, contribuent à transfigurer notre loisir, au grand dam de certains. D’ailleurs, parmi les plus récentes circonvolutions de l’industrie, on note une peur grandissante de l’échec à répétition chez nos ennemis marketeux. Ou, plus simplement, la peur de faire peur aux nouveaux venus. Du coup, consigne est donnée aux studios d’alléger le niveau d’exigence de leur titre, de limiter les obstacles et, si possible, de baliser le parcours du joueur voire de l’installer dans une navette direction le générique de fin. Récit, analyse et dénigrement de cette nouvelle tendance du game-design.

« No pain, no game » (proverbe américain)


Electronic Entertainment Expo 2008, Convention Center de Los Angeles. Cammie Dunaway, responsable des ventes et du marketing de Nintendo of America, anime la conférence du constructeur en compagnie de Reggie Fils-Aimé. L’exécutive martèle un message aux relents sucrés de spot publicitaire pour une marque de bonbons : « Nintendo simply brings more smiles to more faces ». Un peu plus tard, Ubisoft s’appesantira d’interminables minutes sur sa philosophie du easy gaming censée ratisser large. Deux exemples parmi les plus significatifs de la lèpre rongeant le jeu vidéo contemporain. Cette obsession pour le plaisir immédiat, le fun « sans prise de tête », le pick up and play comme l’ont conceptualisé les Américains, reflète-t-elle vraiment les pratiques des joueurs occasionnels ?

On peut légitimement se le demander. Nombre de ceux que l’on classe aujourd’hui dans cette famille de nouveaux joueurs ne sont pas si nouveaux que ça. Beaucoup vous raconteront leurs fiévreuses après-midi passées à retourner Super Mario Bros ou leur pratique intensive de la maçonnerie à Tetris. En revanche, les mêmes évoqueront probablement les complications rencontrées avec la multiplication des touches et, ça, Nintendo a été le premier à le comprendre. Dès lors, plus qu’un problème de difficulté, ne s’agit-il pas plutôt d’un simple problème d’interface ? A quoi bon s’échiner à trouver des raccourcis vers plus de simplicité si le premier obstacle à l’adoption d’un jeu vidéo se trouve être le contrôleur ? Massacrer la licence Prince Of Persia comme l’a récemment fait Ubisoft ne risque pas d’inciter les joueurs récalcitrants au pad à emprunter ce parcours santé fadasse malgré ses charmants atours. Quant au joueur épris de challenge, les rares situations problématiques qu’il a pu rencontrer résultaient en partie de sa somnolence.

« Depuis quelques années, il suffit de se cacher derrière un bout de tôle pour retrouver toute sa santé et repartir à la filoche »


Si l’on observe attentivement comment les grands éditeurs tentent de développer l’attractivité de certaines franchises, il est possible de dégager quelques-unes de ces nouvelles règles de game-design. Pour cela nous invoquerons plusieurs exemples caractéristiques, Prince of Persia en tête. Non que celui-ci soit un précurseur dans le domaine, mais il s’agit certainement du plus gros coup de mou encaissé par une licence depuis belle lurette. Mais commençons d’ores et déjà par le genre le plus populaire de ces cinq dernières années : le FPS. Au temps des Wolfenstein 3D, Doom, Hexen et consorts, notre avatar à la démarche glissante ne jouissait pas encore de cette formidable capacité de régénération commune à tous les soldats du jeu vidéo moderne. Depuis quelques années, il suffit de se planquer derrière un bout de tôle pour retrouver toute sa vitalité et repartir à la filoche. Finie la précarité dans laquelle le joueur pouvait autrefois s’embourber, du genre douze points de vie sur cent et trois Arachnotrons à dézinguer. Une mesure qui s’explique par cette religion du « fast pace game », qu’on pourrait littéralement traduire par « jeu à vive allure ».

Une expression qui nous renseigne peut-être mieux que toute autre sur les intentions présidant au game design de cette génération de titres. En effet, pour revenir à Prince of Persia, cet impératif du rythme soutenu, de la progression sans discontinuité ne peut s’encombrer d’échecs successifs, de petites ruptures, de recommencements. Les gratifications immédiates et gratuites l’emportent sur la satisfaction besogneuse de l’obstacle surmonté. Sans prise de tête. Cette exigence s’éprouve dans tous les aspects du titre à commencer par son gameplay largement hérité d’Assassin’s Creed. Seulement là où ce dernier corrigeait ce sentiment d’un gameplay automatisé en insistant sur la liberté de mouvement et l’exploration, Prince Of Persia repose sur un level design beaucoup plus orienté, balisé et fermé. Pire, en plus de n’être investi que d’une marge de manœuvre ridicule dans le maniement du personnage, le joueur est ici constamment sauvé à chaque erreur. Mais l’exemple de Prince Of Persia est plutôt facile à démonter.

« Dans cinq mètres, tournez à droite… puis à gauche »


Moins évidents mais portés par la même recherche d’une progression sans piétinements, les systèmes de navigation de Dead Space ou Fable II, entre autres exemples. Malgré leurs qualités respectives, ces deux titres versent – dans une moindre mesure certes - dans cette dictature du rythme et ce refus du tâtonnement. On pourra toujours arguer que l’utilisation de ces systèmes est laissée à la discrétion du joueur, il n’empêche que leur intégration in-game et leur facilité d’utilisation encouragent énormément à leurs recours.

Mais que change donc ce genre d’outils à notre expérience du jeu ? En premier lieu, aussi bien intégrés soient-ils, ces systèmes ont l’inconvénient de mettre en exergue le cheminement pensé par les développeurs à l’intention du joueur. Ils écornent cette illusion essentielle à la découverte émerveillée (ou terrifiée) d’un univers : qu’aucun plan n’est établi, que le joueur ne réalise pas une destinée lui préexistant, qu’il façonne sa progression. Il découle de cette cartographie du monde et de cette primeur accordée à l’efficacité une mise en retrait de l’exploration et de ses ratés. Impossible de se perdre désormais, ou pas pour longtemps.

Et pourtant, comment ne pas voir que séjourner dans un lieu et s’y familiariser passe nécessairement par des allées et venues hésitantes, des fouilles entêtées et parfois même des chemins empruntés par le plus grand des hasards. C’est un peu la même différence qu’entre un voyage organisé et une excursion « sac à dos ». La première vous impose un rythme et vous amène directement à ce que les organisateurs considèrent comme étant l’essentiel. La seconde est faite d’imprévus, de réussites inattendues et de ratés qui le sont tout autant. Bien sûr, piétiner n’est jamais amusant sur le moment. Mais ces moments d’agacement et de perplexité participent eux aussi (et surtout ?) de cette troublante impression d’avoir visité un lieu, d’avoir éprouvé sa réalité. Que l’on se souvienne du manoir de Resident Evil…

« Le jeu devient user friendly, cherche à pacifier ses rapports avec le joueur et fini par lui dicter la bonne conduite à avoir »


« Fast pace game ». En définitive, ces quelques exemples illustrent parfaitement cette manière très actuelle de penser et faire le jeu vidéo. Et ce n’est peut-être donc pas tant par souci de réformer les exigences d’autrefois que de commercialiser des produits divertissants et prévenants à l’égard du joueur en limitant ses frustrations. À ce sujet, la notion de checkpoint aujourd’hui solidement implantée et que personne ne songerait à contester (et pourtant...) est peut-être l’élément le plus architecturant du game design moderne. Et la raison en est toute simple : tout est toujours – ou presque - une question de course en avant. Prenez l’évolution de la saga Resident Evil et tout particulièrement les transformations radicales intervenues avec le quatrième volet. Tout est pensé pour entraîner le joueur du point A au point B au point C, etc. La progression beaucoup plus déconstruite du premier épisode a cédé sa place à quelque chose de familier, rassurant, linéaire. On pourrait établir le même parallèle entre un Doom et un Call Of Duty (peu importe le volet).

Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Le jeu vidéo devient user friendly, cherche à pacifier ses rapports avec le joueur et fini par lui dicter la bonne conduite à avoir. On pourrait presque parler d’une idéologie du contrôle, idéologie que l’on retrouve d’ailleurs dans la primauté de la narration sur le gameplay qu’évoquait dernièrement Denis Dyack de Silicon Knights : « La dominance du gameplay va s’estomper petit à petit au profit d’un mouvement vers le narratif. La manière dont nous contons les histoires et divertissons les gens deviendra plus importante ».

Il s'agit certes d'une évidence, mais venant d'un de ceux qui façonnent le jeu vidéo de demain, cela laisse présager d'un mouvement crescendo. Nous avons toujours raillé les analyses à l'emporte-pièce prédisant un développement du jeu vidéo dans les pas du septième art. Si ce rapprochement procède d'une volonté des acteurs de l'industrie, alors nous pensons qu'il s'agit là d'un préjudice grave sciemment porté à la nature même du jeu. Car tous les exemples convoqués dans ce modeste article finiront par n'amener qu'une chose : le désengagement du joueur et son glissement progressif vers la passivité du simple spectateur. Désolé d'en faire tout un cinéma...



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