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Publiée le 26/11/2012 à 17:11, par Maxence

Game Dev Party : 48 heures pour créer un jeu vidéo !

Des amateurs qui se mêlent aux professionnels pour créer un projet de toutes pièces en 48h, c'est à la game jam que ça se passe !

Interview de Laurent Victorino, développeur indépendant et vice président de Game Dev Party
Game Dev Party
Jeuxvideo.fr : Bonjour Laurent, peux-tu te présenter aux lecteurs de Jeuxvideo.fr, donner ton parcours professionnel et ton rôle dans l’association Game Dev Party ?
Laurent : Salut, je m’appelle Laurent Victorino, je suis développeur de jeux vidéo indépendant. J’ai travaillé plus de cinq ans dans la grosse industrie du jeu vidéo en France, et j’en suis sorti pour me mettre à mon compte et faire des petits trucs un petit peu plus… je dirais librement. Je voulais me prouver que j’étais capable de sortir des choses sans avoir besoin d’attendre cinq ans pour faire quelque chose de bien.
Je suis également vice-président de l’association Game Dev Party. Je m’occupe de l’organisation des conférences (ndr : GDP organise une conférence par mois, voir ici et ici), des ateliers et évidemment de la jam avec les autres.

Jvfr : Game Dev Party, c’est quoi ?
Laurent : On a l’habitude de présenter GDP comme une association qui a pour but de promouvoir le développement des jeux vidéo indépendants. On aimerait montrer aux gens que le jeu vidéo, c’est pas uniquement des massacres dans les écoles et des tronçonneuses au bout des fusils. Ça peut être quelque chose de très créatif, de très libre et un moyen d’expression entier. On a surtout envie de démystifier le jeu vidéo. On est plusieurs dans l’association à venir de l’industrie, à savoir comment on fait des jeux, on aimerait donc montrer qu’il n’y a pas besoin d’un ingénieur russe capable d’envoyer des fusées dans l’espace pour faire un moteur qui tue. Ce n’est pas que de la technique, ce n’est pas que des maths. C’est accessible à tout le monde, et en fait les jam c’est pour ça qu’on les fait. Pour prouver aux gens que c’est faisable.

Jvfr : Pourquoi avoir choisi la jam comme première action de l’association ?
Laurent : C’est une discussion que l’on a eu avec Philippe Ho, le président de l’association, qui était développeur Web et qui avait toujours eu envie de faire des jeux vidéo. Mais il manque toujours un graphiste, il manque toujours quelqu’un, c’est très compliqué, et on se dit toujours « je ferai ça ce week-end », alors qu’on a jamais le temps. Le but, c’était vraiment de se réserver un temps pendant le week-end pour ça. Se donner la chance de créer un jeu et voir ce qu’il vaut. Il y avait une quinzaine de personnes pour la première édition. Les gens sont venus et se sont rendu compte que faire des jeux, c’est accessible si on ne se met pas trop de pression.

Naturellement, on a décidé de monter une asso ; au mois de mars dernier, on a organisé une deuxième jam un peu plus sérieusement : plus grand espace d’accueil, meilleure organisation. On a été très surpris de la réception par les gens. En communication, on a eu en tout et pour tout un seul Tweet, en disant « les inscriptions sont ouvertes », et c’est parti en quatre jours, avec cent personnes sur liste d’attente. Les gens ont envie de ça. On nous a remerciés de faire ça, parce que les gens attendaient cette opportunité de pouvoir créer librement des jeux et de rencontrer des gens.

Game Dev Party
Alors que je suis programmeur, c’est toujours la galère de trouver un graphiste, et j’ai rencontré des graphistes qui n’arrivent pas à trouver de programmeurs. C’est juste qu’on gravite dans deux cercles de profession différents et que l’on n’arrive jamais à se rencontrer. Ces évènements-là, c’est justement l’occasion de se dire qu’on a tous la même passion, on a tous la même envie, et du coup y’a des échanges qui se font. Après la jam de mars y’a eu des collaborations qui se sont faites, et ça c’est plutôt cool.

Jvfr : C’est la troisième game jam, y’a des conférences mensuelles, des ateliers : c’est quoi la prochaine étape pour l’association ?
Laurent : c’est une super question. On va faire un petit break après cette game jam, parce que là ça nous a pris une petite heure pour boucler nos inscriptions. Il faut donc vraiment que l’on se pose des questions comme « où va-t-on » et « quelle taille on veut avoir ». Les conférences sont bookées jusqu’à avril, on accueillera certains grands noms du jeu vidéo lyonnais et on se dit qu’il va falloir que l’on grossisse. En même temps, on n’a pas envie de faire des formats plus grands que la jam.

C’est pas par manque de place que l’on a cinquante personnes ici. On pourrait accueillir 100 ou 120 personnes mais on a envie de garder cet esprit humain et cet échange. Le but c’est que la personne qui vient ici, à la fin du week-end elle ait vu tous les projets, qu'elle ait rencontré d’autres personnes et qu’elle ait pu échanger. Quand t’es sur un truc à 100/200 personnes, ça devient inhumain.

Jvfr : L’évènement perd le rôle de passerelle que tu évoquais tout à l’heure. Il faut que les gens puissent échanger sur leur manière de faire du jeu vidéo…
Laurent : c’est ça, d’échanger sur des techniques ou autres. Ouvrir à 200 personnes, ça ferait vraiment trop industriel. C’est pas ce qu’on cherche.

Jvfr : Cela t’a-t-il aidé à faire un nouveau constat sur le jeu vidéo, et notamment sur le milieu du développement lyonnais ?
Laurent : C’est un peu le but en fait. On a des petits lutins qui font des statistiques… l’idée c’est de savoir où en est par rapport à Lyon. Ça a été pendant très longtemps une plateforme du jeu vidéo, au niveau français et parfois mondial. Je vois les grosses sociétés lyonnaises : à l’époque il y en avait une quinzaine/vingtaine qui tenaient vraiment bien debout, aujourd’hui, il n'y en a que deux qui ont les reins solides.

Dishonored
Avec le développement du jeu indépendant, avec l’exposition que ça a dans les médias, on se rend compte que Lyon reste un vivier de créativité énorme, du côté des amateurs purs comme des anciens de l’industrie qui passent à l’indépendant. C’est rassurant, et en même temps on a vraiment l’impression qu’il y a quelque chose qui est en train de se jouer. Avec le retour de grosses productions comme Dishonored d’Arkane, qui n’est ceci dit plus indépendant, on sait très bien que ça offre un peu d’exposition pour Lyon au niveau mondial, et que ça va aider les indépendants à se construire ici. Il n’y a pas que Paris, Montréal et Shanghai qui peuvent accueillir des studios.

Jvfr : Ce n'est dont pas parce que l’on fait du jeu vidéo indépendant que l’on crache sur les grosses productions…
Laurent : Nan, pas forcément. Y’a des choses très biens qui sont faites dans les grosses productions. En tant qu’ancien développeur de ces grosses productions là, j’ai forcément… si je suis parti c’est pas pour rien quoi (rire). Nan, y’a des choses très biens, et ces grosses productions là inspirent aussi les gens. Mais je fais un constat bête : si je prends les jeux les plus marquants de l’histoire, les titres qui reviennent sont très très vieux, genre quinze/vingt ans. Depuis 2000, en AAA, à part quelques exceptions – comme les Sims, Portal tout ça – y’a pas énormément de jeux, et tout vient des Super Meat Boy, des Journey etc. T’imagine pas un éditeur mettre des millions sur un projet comme ça parce que c’est beaucoup trop risqué.

Je n’ai pas à cracher sur les grosses productions. J’ai plus de mal avec la façon dont les éditeurs envisagent le jeu vidéo. C’est plus les éditeurs que les développeurs : ils font ce qu’ils peuvent, on a tous la même envie quoi.

Jvfr : C’est rare qu’un développeur manque de talent. C’est plus une question de moyens, de temps…
Laurent : Un manque de liberté aussi. Travailler avec les gros éditeurs – ça se comprend les mecs ils mettent quinze millions sur la table – ils s’attendent pas à ce que tu fasses n’importe quoi avec son argent.

Jvfr : Avec le développement des plateformes mobiles type smartphone/tablette, l’avènement du dématérialisé sur PC (Steam etc.) et consoles (PSN, Xbox Live), aujourd’hui est-il le meilleur moment pour faire du jeu vidéo indépendant ?
Laurent : Je ne suis pas sur que ce soit le meilleur moment. C’est un très bon moment, mais le meilleur, j’ai un peu peur qu’il vienne tout juste de passer. Aujourd’hui, produire un jeu vidéo indépendant, ça coûte de l’argent, mais beaucoup moins qu’il y a dix ans et ça devient de plus en plus accessible. La façon de travailler a changé, elle permet de produire beaucoup plus, beaucoup plus vite.

Alors du coup, dans l’industrie ça va partir sur de la qualité, forcément vu que 200 personnes travaillent dessus, mais les outils pour les jeux dématérialisés ou smartphone/tablette, qui offrent par ailleurs une certaine visibilité, sont accessibles. La vente se fait maintenant quasiment directement du développeur au joueur, c’est facile et assez transparent.

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Jvfr : Et tu profites d’une certaine exposition, parfois minime, mais une exposition quand même…
Laurent : Même si tu es souvent noyé dans la masse, justement parce que maintenant il y a énormément de gens, c’est toujours possible. En tant que développeur, te dire que justement tu vas assurer ton rôle d’éditeur toi-même - même si c’est plus facile avec un éditeur, notamment au niveau financier – ça reste faisable. Je sais pas si c’est le meilleur moment, mais à mon sens c’est un moment parfait pour qui veut se lancer.

Moi qui ai quitté la grosse industrie, je me dis pas que j’ai pris un risque de fou ou inconsidéré. Je ne sais pas où j’en serai dans un an, mais aujourd’hui je fais ce que j’ai envie de faire, et que ce n’est pas si risqué que ça.

Jvfr : Et tu arrives à en vivre ?
Laurent : Pour le moment, non, puisque je suis sur mon premier projet, mais je vis normalement parce que l’on est dans un pays merveilleux avec des aides merveilleuses (rire). C’est au final pas très loin de ce que je touchais avant, mais j’espère sortir mon jeu très vite. Au-delà d’une question d’argent, c’est plus l’idée de se dire « putain j’ai sorti un truc ». Là, si je regarde mon CV, depuis Top Spin 3 je n’ai rien sorti. Il est sorti en 2008, donc depuis quatre ans je n’ai pas sorti un seul jeu.

J’ai besoin de ça, et faire des jeux sur cinq ans c’est épuisant nerveusement, surtout quand on est un petit lutin noyé entre 2000 personnes qu'on ne connait pas. Outre le fait de le vendre, d’en vivre et de devenir ultra riche, c’est surtout l’accomplissement qui importe. Je considérerais avoir réussi quand y’aura trois personnes que je ne connais pas qui auront acheté le jeu, y auront joué et auront un avis un peu cool dessus.

Jvfr : Je me rends compte que j’ai retenu plus de noms de créateurs depuis que je m’intéresse aux productions indépendantes qu’en vingt-cinq ans de AAA.
Laurent : C’est ce que je te disais tout à l’heure. Les grosses productions dont tu te souviens, c’est souvent des trucs qui datent d’avant 2000. 2004 à la limite. Les projets indépendants sont restés humains, avec des équipes de deux mecs dans leur cave, qui n’ont aucune contrainte parce que derrière y’a pas d’éditeur, y’a pas de ligne, ils font ce qu’ils veulent. J’ai l’impression qu’ils font d’abord des jeux pour eux. C’est personnel et créatif, et du coup ça parle à un tas de monde.

Jvfr : On sait qui a fait Minecraft, mais on ne saura jamais qui est derrière Assassin’s Creed 3…
Laurent : T’as quand même une personne sur Assassin qui est mis en avant, parce qu’il faut incarner le jeu pour le vendre.

Jvfr : Pour Assassin, on ne sait même pas qui c’est…
Laurent : ça doit être Désilet… ah non même pas…

Jvfr : ...il est parti chez THQ ! On sait pas qui incarne Assassin aujourd’hui, le projet n’est pas humain (rire)
Laurent : y’a peut-être un alien derrière Assassin ! (rire) Ouais, ça rend les trucs plus humains, et quand tu vois la Team Meat, les mecs sont hyper humains, Phil Fish on en parlera pas parce que je le déteste, mais c’est pareil, son jeu (ndr : Fez) tu l’aimes ou tu le détestes. C’est pas un truc complètement neutre qui a l’air cool sans plus. C’est un jeu fait par un mec, et s’il est détestable tu vas peut-être pas l’acheter. Au moins ton intention est basée sur quelque chose d’humain. Capybara (ndr : Sworcery) veut faire des jeux pour faire des jeux, Introversion (Darwinia) t’es obligé d’être d’accord avec leur manière de voir le jeu vidéo. Pareil avec le fait que Tim Schafer, avec son fameux Kickstarter incroyable, il se soit mis en avant. Y’a une vraie demande des joueurs, qui veulent retrouver le côté humain dans la création de jeux, qui est devenu un business et une industrie.
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