Test The Order : 1886 (PS4) : 4/10 sur JeuxVideo.fr

Studio figurant jusqu'ici au roster des seconds couteaux inféodés à Sony, Ready At Dawn ne compte encore aucun grand jeu à son actif. Les épisodes nomades de God of War produits par le développeur californien étaient certes tout à fait valables, mais on attend encore de sa part un titre fondateur, un coup de maître capable d'inscrire durablement son nom dans les esprits. Hélas, ça n'est pas le médiocre The Order 1886 qui fera décoller la cote de Ready At Dawn auprès des joueurs.

Au fil d'une campagne de communication rythmée par des bandes-annonces toutes plus flatteuses les unes que les autres et des présentations précisément calibrées, Ready At Dawn a cherché à vendre son titre sur sa principale - pour ne pas dire sa seule - qualité à savoir l'immense et admirable travail accompli sur toute sa dimension artistique et technique. L'action de The Order : 1886 prend place dans une ville de Londres uchronique où la Révolution Industrielle aurait donné naissance à d'encore plus incroyables innovations technologiques. Mais aussi une ville dont les légendes seraient réalité : les Chevaliers de la Table Ronde y sont toujours en activité et des loups-garous s'y tapissent à la faveur de la nuit.

L'univers steampunk et crépusculaire imaginé par Ready At Dawn est une indéniable réussite. Du character design à la conception des costumes et de l'armement, en passant par l'architecture des décors et la composition des intérieurs, The Order doit tout ou presque aux efforts conjoints de ses équipes artistiques et techniques. Recréation historique et extrapolation technologique s'embrassent en un ensemble à la fois crédible, cohérent et superbement mis en forme. A n'en pas douter, le titre de Ready At Down est ce que la PlayStation 4 nous a offert de plus maîtrisé à ce jour. Du seul point de vue technique, le studio californien délivre une copie quasi parfaite et nous offre une démonstration époustouflante de ce que la console de Sony a sous le capot. La qualité bluffante des textures comme la précision de la modélisation et la finition inattaquable de l'ensemble concourent à faire de The Order le jeu le plus impressionnant qu'une console ait jamais accueilli. Une réussite dont Ready At Dawn semble s'enorgueillir au point de jalonner son titre d'une poignée d'interactions dont le seul intérêt est de nous permettre de manipuler et contempler les splendides modèles 3D d'armes, items et autres bibelots qui nous passent de temps à autres sous la main.


Mais si The Order brille par l'originalité de son univers et le soin d'orfèvre apporté à sa mise en forme, sa production value de très haut niveau est malheureusement ternie par un scénario et une narration de piètre qualité. Nous incarnons Galahad, l'un des Chevaliers de l'Ordre fondé par le Roi Arthur, forte tête qui devra faire toute la lumière sur une obscure machination aux ramifications inattendues. Tout du moins pour lui, car pour le joueur tout est malheureusement cousu de fil blanc. Le jeu essaie péniblement de nous aiguiller sur une fausse piste pendant une bonne moitié de l'aventure avant de lever progressivement le voile sur son secret de Polichinelle. Le tout est assez maladroitement mis en scène au travers d'innombrables cut-scenes souvent trop bavardes quand elles n'essaient pas de forcer l'empathie avec quelques mines graves et une partition de piano. Sans succès hélas, en dépit de l'expressivité remarquable des personnages. Le joueur ne s'appropriant jamais les enjeux qui sous-tendent le scénario, Ready At Dawn ne parvient alors à gagner son implication. Mais le studio californien l'a-t-il jamais cherché ?

Pour faire du jeu vidéo encore faut-il en avoir l'ambition. Cela pourra vous paraître évident, mais lorsqu'on joue à The Order, on en viendrait presque à se demander si Ready At Dawn n'a pas perdu de vue que le fruit de son travail ne peut exister sans l'implication consentie d'un joueur ou d'une joueuse. Et, vraiment, le studio semble s'en être éperdument moqué. Ou alors, comment expliquer le game-design autoritaire de The Order ? Quelle intention incomprise se cache derrière cette insupportable manie qu'a le jeu de décider à notre place à quelle allure nous déplacer, quand dégainer notre arme ou quel élément de décor il nous est permis de franchir ? Comment ne pas avoir l'impression d'être pris pour un exécutant décérébré devant toutes ces cut-scenes maquillées en séquences jouables où il ne s'agit que d'actionner un mécanisme ou de marcher quelques mètres avant que ne s'enclenche une nouvelle cinématique ?

Certains ne manqueront pas de rapprocher ces remontrances de celles qui furent autrefois adressées à Heavy Rain par ses détracteurs. Ça n'est pas notre avis. Quoiqu'on ait pu penser du jeu de Quantic Dream, derrière cette dépossession du joueur de ses privilèges les plus élémentaires, il y avait la volonté de l'impliquer autrement, à savoir moralement et émotionnellement par le biais d'une narration interactive plutôt audacieuse. On pouvait juger que le compte n'y était pas mais la démarche était néanmoins tout autre. Or Ready At Dawn ne nous accorde même pas cette considération là. Le studio a une histoire à raconter et ne voit aucun problème à interrompre sans arrêt le joueur à peine celui-ci a-t-il retrouvé un semblant d'autonomie.

Mais, encore une fois, le plus frustrant ce ne sont pas tant les trop nombreuses cinématiques occupant tout l'espace narratif que les incessantes intrusions que se permet le studio pour nous dicter sa loi lors des séquences de jeu. Une phase d'infiltration ? Galahad progresse lentement et courbé sans qu'il soit possible de le redresser. Pas d'ennemis en vue ? Impossible de dégainer son arme. Un chouette environnement à admirer ? Non monsieur, on ne court pas ! Et il en va ainsi tout au long du jeu. Ce sentiment d'être empêché dans ses mouvements est absolument insupportable. Et comme si cela ne suffisait pas, il faut en plus se satisfaire d'un cadrage si serré que Galahad occupe un bon tiers de notre champ de vision. Étouffant.

Une impression encore aggravée par un level-design le plus souvent beaucoup trop ramassé, pour ne pas dire rabougri. Si les pires exemples nous sont donnés lors des premières heures de jeu dans les étroites ruelles londoniennes, on ne se départit jamais vraiment du sentiment tenace d'avancer le long d'un couloir richement meublé. On sentirait presque la main de Ready At Dawn nous pousser dans le dos. Il arrive bien à quelques occasions que le studio consente à pousser un peu les murs et que nous en profitions alors pour nous dégourdir les jambes. Mais presque à chaque fois c'est uniquement pour aménager une petite arène aux hordes d'ennemis qui se déverseront sur nous quelques secondes après.

Car derrière sa somptueuse parure et ses manières autoritaires, The Order n'est rien d'autre qu'un third person shooter d'une banalité à peine croyable. L'essentiel de la progression est ainsi laborieusement rythmée par des batailles rangées face à une soldatesque crétine dont la seule stratégie offensive semble être de tirer une rafale puis de se planquer derrière sa caisse. Quelques gradés un peu plus dégourdis ont parfois l'idée lumineuse de changer d'abri et de progresser vers notre position, mais on a connu tactique d'approche plus audacieuse. Enfin dernière manœuvre inscrite au manuel : se ruer sur le joueur pour l'arroser de gros plombs. YOLO.

Ceci étant, côté joueur les possibilités d'action offertes par le titre ne sont pas affolantes non plus. A part canarder et se planquer, que reste-t-il ? Des séquences d'infiltration d'une nullité affligeante, quelques moments de grimpette strictement balisés et, surtout, des actions contextuelles jusqu'à l’écœurement. Précisons quelque peu les choses. Les QTE s'incrustent partout, dans les séquences au corps à corps jusque dans les rares combats de boss. La moitié des rencontres avec des loups-garous - et il ne doit y en avoir que quatre ou cinq - se résolvent par le biais de cette mécanique paresseuse. Les autres sont tellement scriptées qu'elles en deviennent absurdes. Le pire étant que, contrairement à d'autres titres qui ont pu en faire usage, ici leur réussite n'est même pas sanctionnée d'une mise en scène flatteuse et que le premier échec conduit le plus souvent à rejouer l'intégralité de la scène. Bref, arrivés au terme de cette critique vous l'aurez compris, la PS4 tient son Ryse et il n'y a évidemment pas de quoi s'en réjouir.

Le studio Ready At Dawn avait-t-il vraiment pour ambition de produire un jeu vidéo ? Derrière sa formulation provocatrice, notre question n'en demeure pas moins légitime au regard du manque de considération que The Order témoigne à son joueur. Qu'il s'agisse de ses innombrables cinématiques occupant l'espace narratif, des intrusions confiscatoires du développeur réduisant notre marge de manœuvre, du level-design nous enserrant dans une progression à marche forcée ou encore d'un gameplay rudimentaire recourant beaucoup trop souvent aux actions contextuelles, The Order fait bien peu de cas de notre implication. S'impose alors le sentiment que Ready At Dawn n'avait d'autre ambition que de produire une spectaculaire démonstration technique au mépris du destinataire de son oeuvre. Il serait néanmoins injuste de ne reconnaître à The Order que le seul mérite d'avoir fait honneur aux capacités de la PS4. L'excellence de sa direction artistique et la cohérence de l'univers uchronique qu'il dépeint forcent le respect. Mais quelle frustration que ces qualités n'aient pas été mises au service d'un grand jeu !